Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 24

 

Tandis que Timoléon suivait les traces deVanda, disons ce qui s’était passé la nuit précédente entre elle etRocambole, lorsqu’après le départ de sir James, elle s’était rendueen toute hâte rue Saint-Lazare.

– Ma chère enfant, disait Rocambole, tun’as plus besoin de chercher à pénétrer le secret de sir James.

Je sais sur le bout du doigt l’histoire demiss Ellen, c’est-à-dire de milady, et l’heure des investigations afait place à l’heure d’agir.

La situation est bien simple et peut serésumer ainsi :

Miss Ellen a dépouillé sa sœur et l’enfant desa sœur.

Il faut rendre à cette dernière, c’est-à-direà Gipsy, ce que miss Ellen a volé.

Où est cette fortune ?

Ce n’est pas sir James Nively qui nous ledira, c’est milady elle-même.

D’après ce que je vois, cette fortune demeuréeintacte apporte chaque année ses immenses revenus dans la maison debanque Davis, laquelle en fait deux parts.

La première est pour milady.

C’est sur cette part de revenu que le fils demilady a vécu.

Que devient l’autre ?

Sans doute elle grossit chaque année ce trésorsur lequel les Indiens comptent pour chasser un jour lesAnglais.

Pourquoi Ali-Remjeh a-t-il abandonnémilady ?

Pourquoi cette dernière ne voit-elle,n’a-t-elle jamais vu son fils ?

Ceci est encore un mystère pour moi.

Cependant voici ce que j’ai vu.

Et Rocambole après avoir raconté à Vanda lascène des Tuileries, ajouta :

– Milady s’est évanouie en apprenant queson fils était blessé.

Tu penses bien que le coup de théâtre devaitavoir un résultat immédiat.

Milady a été reconnue par Marie Berthoud pourla mère de M. Lucien Haas.

Alors elle m’a supplié de lui venir en aide.J’ai couru chercher une voiture. Aidé de deux messieurs qui setrouvaient là, nous y avons transporté milady et nous l’avonsconduite rue de la Sourdière.

Pendant le trajet, j’avais rassuré MarieBerthoud de mon mieux sur les conséquences de la blessure deLucien.

Et Marie avait fini par partager maconviction.

Lorsqu’après avoir respiré des sels, miladyest revenue à elle, elle a manifesté un grand désespoir et versédes torrents de larmes.

Marie Berthoud la rassurait, comme je l’avaisrassurée moi-même. Puis elle lui disait :

– Nous allons partir, nous irons nousinstaller à son chevet et la vue de sa mère hâtera la guérison.

Mais à cette proposition milady a manifestéune grande terreur.

– Non, non, disait-elle, cela estimpossible… Cela ne se peut !

Et elle a fait jurer à Marie qu’ellelaisserait ignorer à Lucien leur entrevue.

Comme je m’étais donné pour un ami de Lucienet que je lui avais servi de témoin, milady a eu la même confianceen moi et m’a fait prêter le même serment.

– Mais pourquoi ne veut-elle pas voir sonfils ? interrompit Vanda.

– Ce n’est pas elle, c’est sans douteAli-Remjeh qui s’y oppose. Je l’ai deviné à la terreur subite quis’est emparée d’elle.

– Enfin, dit encore Vanda, te voilà aumieux avec milady ?

– Et avec le major Hoff, son complice.J’ai renouvelé connaissance avec lui en reconduisant milady auGrand-Hôtel.

– Eh bien ! que comptes-tufaire ?

– Milady n’a au cœur qu’une passionvraie ; son amour maternel. C’est là qu’il faut frapper.

– Comment ?

– Suppose que Marie Berthouddisparaisse.

– Bon !

– Que Lucien soit averti que c’est samère qui l’a fait enlever.

– Fort bien. Après ?

– On lui dit : Voyez-vous cettefemme qui passe ? C’est votre mère. C’est elle seule qui peutvous dire ce qu’est devenue Marie Berthoud.

– Mais milady prouvera à son fils qu’elleest innocente au sujet de Marie.

– Je le sais.

– Eh bien ?

– Alors mon rôle commencera, ditRocambole.

Puis, après un moment de silence :

– Crois-tu que, lorsque milady verra sonfils au désespoir et qu’on viendra lui dire : Quedonneriez-vous donc pour lui rendre Marie Berthoud ? elle nerépondra point : « Une fortune entière. »

– Peut-être, dit Vanda.

– Eh bien ! c’est là ce que jeveux.

– Mais comment enlever MarieBerthoud ? où la conduire ?

Un sourire vint aux lèvres de Rocambole.

– Ce sont là des jeux d’enfant, dit-il.Je m’en charge. Est-ce que, avec une bande comme la mienne, on neremue pas Paris tout entier ?

– Maître, dit Vanda, vas-tu me laisserlongtemps encore auprès de sir James ?

– Jusqu’à ce que milady et lesÉtrangleurs aient rendu gorge.

– Cela peut être long.

– Ce sera plus court que tu nepenses.

– Mais d’abord, dit encore Vanda, as-tusongé à une chose ?

– Laquelle ?

– C’est que Lucien et Marie sont deuxêtres honnêtes, naïfs, intéressants, et que tu vas les frapper.

Un nuage passa sur le front de Rocambole.

– Je me suis dit tout cela, répondit-il,mais il faut que les millions de la bohémienne soient restitués.Après, Gipsy donnera sans doute de quoi vivre au fils demilady.

– Mais Gipsy est folle !

– Elle guérira, répondit Rocambole avecl’accent d’une émotion profonde.

– Enfin, reprit Vanda, qu’ordonnes-tu,Maître ?

– Rien pour aujourd’hui, mais il faut queje te voie demain.

Vanda s’en était allée.

Mais, le lendemain, dès neuf heures du matin,elle revenait rue Saint-Lazare et disait :

– Alerte ! alerte ! j’ai desnouvelles d’Ali-Remjeh.

– Voyons ? fit Rocambole avec sonflegme ordinaire.

Alors Vanda raconta à Rocambole que sir JamesNively n’était rentré qu’au petit jour, la nuit précédente, non passeul, mais en compagnie de deux hommes au teint bistré, aux cheveuxnoirs et frisés, aux yeux ardents et qui paraissaient être desIndiens.

Ces hommes arrivaient de Londres.

Vanda s’était traînée nu-pieds, retenant sonhaleine, dans un corridor sur lequel ouvrait la salle où sir Jamess’était enfermé avec eux.

Comme ils causaient en langue indienne, ellen’avait pu saisir ce qu’ils disaient, mais elle avait entenduprononcer à plusieurs reprises le nom de Gipsy, et elle en avaitconclu que ces deux hommes étaient bien certainement sur les tracesde la bohémienne.

– S’ils n’y sont pas, je les y mettrai,dit Rocambole.

Vanda le regarda avec étonnement.

– Tu penses bien, reprit le Maître, queje ne vais pas laisser sir James Nively au grand air, maintenantaussi que les principaux Étrangleurs sont arrivés pour lui prêtermain-forte.

– Que comptes-tu donc faire ?

Rocambole ouvrit ce même tiroir dans lequel ilavait enfermé le curieux mémoire du pauvre Bob ; il y prit unflacon qui renfermait une petite poudre blanchâtre.

– Voici un narcotique, dit-il, que tuferas prendre à sir James ce soir même.

– Après ?

– Quand il dormira, tu placeras une lampeauprès de la fenêtre de sa chambre à coucher, ce sera pour moi unsignal.

– Et puis ?

– Et puis, le reste me regarde, maisavant de rentrer avenue de Marignan, tu vas aller rue du Vert-Bois,tu verras Milon, tu sauras si on est venu rôder autour de lamaison.

Vanda obéit, après avoir toutefois pris lecostume de femme à moitié déguenillée sous lequel Timoléon devaitla reconnaître.

Une heure après, elle était de retour.

– Milon et les autres ont fait bonnegarde, dit-elle, on n’a rien signalé d’alarmant.

– C’est bien, lui dit Rocambole, tout estconvenu ainsi.

C’étaient ces derniers mots qu’avait entendusTimoléon du haut de l’impériale de l’omnibus.

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