Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 2

 

Le major Avatar reconduisit la mère de Lucienavec les marques du plus profond respect.

Seulement, comme ils traversaient la cour, illui dit :

– Un mot encore, milady ?

– Je vous écoute, monsieur.

– Pour Paris entier, je ne suis que lemajor Avatar, et pour votre fils, je suis l’homme qui lui a servide témoin.

– Eh bien ?

– Si vous ne voulez pas qu’il arrivemalheur à votre fils, milady, vous vous tairez sur notreentrevue.

– Oh ! dit milady, la recommandationest inutile. Mon fils ne doit pas savoir…

– Ce n’est pas seulement pour votre filsque je parle, dit Rocambole.

– Pour qui donc encore ?

– Pour Franz.

Ce nom fit monter le rouge au visage demilady.

– Vous savez encore cela ?fit-elle.

– Je sais tout, dit-il avec calme, ainsiprenez garde !

Et il lui offrit la main pour remonter envoiture.

Milady partie, Rocambole rejoignit Milon qu’ilavait laissé dans le boudoir de Vanda.

– Eh bien ? fit celui-ci avecanxiété.

– Cette femme croyait trouver ici sirJames.

– Bon !

– Et elle ne sait même pas que Vandaexiste.

– Alors ce n’est ni elle ni ses complicesqui ont fait le coup ?

– J’en suis convaincu.

Et Rocambole, rêveur, prit sa tête à deuxmains.

– Maître, dit Milon, Wasilika est morte,sir James est en notre pouvoir… Si quelqu’un a pu enleverVanda…

– Eh bien ?

– Ce ne peut être que Timoléon.

Ce mot fit tressaillir Rocambole des pieds àla tête.

– Oh ! fit-il, quel nom as-tu doncprononcé là ?

– Lui seul peut vous en vouloir…

– Soit. Mais il n’est pas en France.

– Qui sait ?

– Et alors même qu’il y serait, commentaurait-il pu retrouver la trace de Vanda ?

– Vanda ne vous a-t-elle pas dit, la nuitdernière, que sir James avait voulu la tuer ?

– Sans doute.

– Qui donc aurait pu avertir sir James dela trahison de Vanda dont, ce matin encore, il était éperdûmentamoureux ?

Un éclair terrible passa dans les yeux deRocambole.

– Ah ! dit-il, malheur à lui s’il aosé de nouveau se mêler de mes affaires !

Milon secoua la tête.

– Maître, dit-il, je crois que Timoléonne vous craint plus.

– Pourquoi ?

– Parce qu’il n’a plus rien à perdre dansla dernière partie qu’il jouera avec vous.

– Que veux-tu dire ?

– Sa fille est morte.

Rocambole fit un pas en arrière.

– Es-tu sûr de cela ? dit-il, et situ en es sûr comment le sais-tu ?

– Je l’ai appris durant notre séjour àLondres.

Rocambole retomba un moment dans sarêverie.

Milon l’en arracha par ces mots :

– Si c’est lui, dit-il, nous n’avons pasun moment à perdre.

– Tu crois ?

– Peut-être a-t-il assassiné Vanda.

Quelques gouttes de sueur perlèrent au frontde Rocambole.

– Il faut la retrouver… il faut retrouverTimoléon, dit encore Milon.

– Il faut attendre ici d’abord, ditfroidement Rocambole.

– Ici !

– Sans doute il avait une clé pours’introduire dans l’hôtel, et il ignore la disparition de sirJames.

– Vous croyez ?

– Alors il reviendra, dans l’espérance dele trouver.

– Vous avez raison, dit Milon, mais si,pendant ce temps…

Et la voix de Milon tremblait.

– Tu vas rester ici, dit Rocambole.

– Et vous, maître ?

– Moi je vais tâcher de retrouver lapiste de Vanda.

**

*

La police, si clairvoyante qu’elle soit,échoue quelquefois dans ses investigations, lorsqu’elle manque depoint de départ.

Rocambole était certainement aussi habile quela plus habile police du monde ; et nous l’avons vu à l’œuvrebien souvent.

Mais, cette fois, le point de départ luimanquait.

Milon avait bien parlé de Timoléon, mais cen’était qu’une prévention et non une certitude.

Évidemment si on avait enlevé Vanda, rien neprouvait que Timoléon fût l’auteur de cet enlèvement.

Il fallait donc prendre garde de s’égarer dansdes investigations aussi longues qu’infructueuses, or, l’uniqueroute à suivre, c’était la recherche de ce fil conducteur quirépondait au nom de Vanda.

Les roues du fiacre avaient tourné surelles-mêmes devant l’hôtel.

La voiture avait dû regagner le rond-point desChamps-Élysées.

Rocambole s’adressa à un commissionnaire quistationnait au coin de l’avenue Gabrielle.

Le commissionnaire prétendit que la nuitprécédente, en effet, vers minuit et demi, comme il sortait de chezun marchand de vin, il avait vu un fiacre arrêté au milieu del’avenue Marignan ; que, peu après, ce fiacre avait passéauprès de lui et qu’il avait entendu un homme assis à côté ducocher lui dire :

– Nous allons à Romainville. Tu prendraspar les boulevards extérieurs.

Mais le commissionnaire n’avait pas songé àregarder dans l’intérieur du fiacre.

Ce renseignement était trop vague pour queRocambole pût en tirer parti.

Comme il s’éloignait, le commissionnaire lerappela et lui dit :

– Je crois bien que les lanternes étaientrouges, et que les deux chevaux étaient dépareillés. Il y en avaitun noir et un alezan.

Ces deux couleurs sont assez communes parmiles chevaux de fiacre.

Néanmoins Rocambole dit :

– On a dû prendre la voiture à l’une desstations voisines ; cherchons…

Il y a une place de voitures en haut desChamps-Élysées.

Rocambole se dirigea vers ce point.

La voiture qui se trouvait en tête étaitjustement attelée de deux chevaux en tout semblables à ceux que lecommissionnaire avait dépeints.

Rocambole remarqua qu’on avait lavé la voiturele matin, mais tellement à la hâte que le dessous de la caisseétait encore maculé par places d’une boue jaune et blanche quin’était pas la boue des rues de Paris.

Cette voiture avait dû faire une excursionnocturne dans les champs et passer, auparavant, dans un de cesruisseaux où vont se déverser les eaux noirâtres des fabriques dontla Villette, Belleville et Ménilmontant sont couverts.

Rocambole ouvrit la portière et le cocher quisommeillait sur son siège s’éveilla.

– À l’heure, dit Rocambole.

– Où allons-nous, mon bourgeois ?demanda le cocher d’un air de mauvaise humeur.

Rocambole le regarda sévèrement de cet œilinvestigateur que possèdent seuls les agents de police.

– Nous allons à la préfecture,répondit-il.

Le cocher fit un mouvement de surprisedésagréable.

– Eh bien ! dit Rocambole, est-ceque les chevaux dorment aussi ?

Le cocher prit les rênes et fit claquer sonfouet.

Le fiacre partit.

Comme il descendait les Champs-Élysées encoredéserts, Rocambole baissa la glace de devant et tira le cocher parle pan de son pardessus.

Celui-ci se retourna :

– Nous allons à la préfecture, ditRocambole, et la course pourrait bien être plus longue que tu nepenses.

– Pourquoi donc ça ? fit lecocher.

– Tu ferais peut-être mieux de meconduire tout de suite à Romainville.

À ce mot, le cocher ne put pas être maîtred’un mouvement de surprise et même d’effroi.

– Bon ! dit Rocambole, je vois quetu m’as compris. Arrête un moment !

Et comme le fiacre s’arrêtait, Rocamboleouvrit la portière, descendit et monta à côté du cocher en luidisant :

– Nous allons causer un brin, moncamarade !

Le cocher était si ému que son attitudeembarrassée avait sur-le-champ confirmé tous les soupçons deRocambole.

Celui-ci ajouta, en tirant un cigare de sapoche :

– J’aime à fumer au grand air,marche !

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer