Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 8

 

Philippette s’était donc présentée chez lemajor Avatar, et Rocambole s’était montré dans l’antichambre aumoment où le petit groom parlementait avec la vieille femme quiinsistait pour entrer.

D’un coup d’œil rapide, Rocambole eut toiséPhilippette.

C’était une de ces femmes qui sont descenduesau plus bas de l’échelle sociale.

Mais le papier qu’elle apportait était bien del’écriture de Vanda, et peu importait à Rocambole la messagèrequ’elle avait choisie.

D’ailleurs, il y avait une chose qui nefaisait pas doute pour Rocambole.

Vanda était au pouvoir de Timoléon.

Par conséquent, si elle était parvenue àcorrompre quelqu’un et à l’intéresser à son sort, ce quelqu’un nepouvait être qu’une de ces créatures abjectes que Timoléonemployait si volontiers.

Ainsi qu’elle l’avait dit à ce dernier,Philippette ne manquait ni d’intelligence ni d’astuce, lorsqu’ellen’était pas prise de boisson.

Si Rocambole avait pu soupçonner un piège,l’attitude que prit tout d’abord Philippette l’eût rassuré.

– Mon bon monsieur, dit-elle, en venantici je joue gros jeu, parce que les gens qui vous ont pris votrepetite dame me tueraient s’ils savaient que je mange lemorceau.

Mais votre petite dame m’a dit que vous étiezgénéreux.

– C’est-à-dire, interrompit Rocambole,qu’elle vous a promis deux cents louis.

– Vous l’avez dit.

– Rassurez-vous, la mère, vous lesaurez.

Mais Philippette se rappelait larecommandation de Timoléon.

– J’aimerais autant les avoir tout desuite, dit-elle.

– Pardon, quand nous aurons retrouvécelle que je cherche, dit Rocambole.

Philippette ne bougea pas.

Rocambole comprit qu’elle ne marcherait que sielle voyait l’argent.

– Venez par ici, dit-il.

Et il la fit entrer dans son cabinet et ouvritun tiroir de son secrétaire.

Dans ce tiroir, il y avait une poignée debillets de banque.

– Connaissez-vous ça ? dit-il en luien montrant un.

– Pardi ! j’en ai assez remué dansmon jeune temps, quand je roulais voiture, dit Philippette. Ce sontdes billets de mille francs.

Rocambole en prit quatre et les mit dans sapoche. Puis il referma le tiroir en disant à Philippette :

– Quand vous m’aurez conduit, vous lesaurez.

Il parlait avec un tel accent de franchise etde fermeté à la fois, que la complice de Timoléon comprit qu’il nela trompait pas et qu’il ne donnerait l’argent qu’après avoirretrouvé Vanda, mais que rien ne le lui ferait lâcherauparavant.

– C’est bien, dit-elle,partons !

– Où allons-nous ? demandaRocambole.

– À Pantin.

Il tressaillit au souvenir de ses recherchesinfructueuses.

– Ah ! dit Philippette, ils sontmalins, allez !

– Qui donc ?

– Ceux qui ont enfermé la petite dame.Ils l’ont mise dans une carrière qui est bouchée et que personne neconnaît plus.

Ceci confirmait tous les soupçons deRocambole.

Tandis que Philippette parlait, il avaitrevêtu rapidement une mauvaise redingote et s’était coiffé d’unecasquette, ce qui lui donnait l’air d’un ouvrier.

Puis il avait, sans que Philippette le vît,glissé deux pistolets et un poignard dans ses poches.

– À présent, dit encore Philippette, cen’est pas tout.

– Que faut-il encore ?

– Vous pensez bien que si j’avais étémoins vieille et plus robuste, en place de venir vous chercher,j’aurais délivré la petite dame, mais il y a de l’ouvrage,allez ! il faudrait avoir un bon pic et une longue corde.

– Nous prendrons tout cela en route, ditRocambole, filons !

Et il la prit par le bras et sortit avec elle,au grand étonnement du petit groom qui ne pouvait comprendrecomment un homme de la valeur et de l’éducation du major Avatarpouvait se donner une semblable compagnie.

Dans la rue, Rocambole arrêta un fiacre, y fitmonter Philippette et dit au cocher :

– Mène-nous aux buttes Chaumont, mais enpassant tu t’arrêteras rue du Vert-Bois, au numéro 19.

Philippette tressaillit.

Comment le major Avatar pouvait-il avoiraffaire précisément dans la maison où Timoléon demeurait ?

– Nous allons nous procurer un pic et descordes, dit Rocambole.

Le fiacre partit.

Un quart d’heure après, il arrivait rue duVert-Bois.

La rue était déserte, la boutique du fruitierfermée.

Mais un filet de lumière passait sous laporte.

Rocambole frappa.

Ce fut le fruitier qui vint ouvrir.

Il y avait trois personnes dansl’arrière-boutique : Milon, la Mort-des-braves et unefemme.

Milon se précipita à la rencontre deRocambole.

– Eh bien ? dit-il.

La femme se retourna et murmura :

– Le maître !

Rocambole laissa échapper un gested’étonnement ; il avait reconnu l’ancienne prisonnière deSaint-Lazare, la belle Marton, la femme au chien.

En effet, le chien, ce chien merveilleuxd’instinct, qui avait aidé à sauver Mlle AntoinetteMiller, était couché sous la table.

Il grogna un moment : mais il finit parreconnaître Rocambole et se mit à le caresser.

– Que fais-tu ici ? demandaRocambole.

Philippette était restée dans la voiture et nepouvait entendre ce qui se passait dans la boutique.

– Maître, répondit Marton, je suis venuede la part d’une femme appelée Zélie.

– Bon ! fit Rocambole.

– Prévenir ce jeune homme qui se cacheici que le Pâtissier veut lui jouer un mauvais tour.

– Je le sais, dit froidementRocambole.

– Zélie est venue déjà, mais le patronl’avait mise à la porte, alors elle m’a envoyée et bien heureux quej’ai trouvé Milon.

– Maître, dit Milon tout bas, avez-vousdes nouvelles de Vanda ?

– Oui.

Et Rocambole, qui paraissait fort calme, ditau fruitier :

– Il faut me trouver une de ces longuescordes qui te servent à descendre ton vin dans la cave.

– Bon, dit le fruitier, c’est facile.

– Puis un pic ou une bêche.

– Vous savez que j’ai un pic, je vais lechercher.

– Mais où allez-vous donc, maître ?demanda Milon.

– Délivrer Vanda.

– Alors vous venez me chercher ?

– Non, tu resteras ici.

– Pourquoi ?

– Parce que le Pâtissier et Timoléonrôdent sans doute autour de la maison et qu’il faut veiller surGipsy.

Le fruitier revint quelques minutes après.

Il portait le pic et la corde dont il avaitfait un écheveau.

– Maître, murmura Milon, n’est-ce pointassez de la Mort-des-braves et de notre ami le fruitier pour garderGipsy ?

– Non.

– Comment, vous allez toutseul ?

– Oui.

– Maître… j’ai peur…

– Imbécile ! dit Rocambole.

Et il lui montra la crosse de ses pistolets,ajoutant tout haut :

– Vous allez tous m’attendre ici.

Et il regagna la voiture dans laquelle setrouvait Philippette.

– Aux buttes Chaumont, maintenant !dit-il au cocher.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer