Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 20

 

La jeune fille qui répondait au nom de Zélieet qui sans doute voyait pour la première fois ce bandit sinistrequi portait le nom de Pâtissier, éprouva un mouvement decrainte.

Le Pâtissier laissa peser sur elle ce regardqui avait jadis un pouvoir de fascination sur les ravageurs, avantque ceux-ci ne se donnassent à Rocambole.

Zélie se sentit frissonner.

– Voyons, ma petite, dit le Pâtissier, tuconnais donc Marmouset ?

– Oui.

– Il y a bien longtemps que je ne l’aivu, tu devrais bien me donner son adresse.

– Non, répondit Zélie.

– Et pourquoi ça ? fit le Pâtissierd’un ton de menace.

– Parce que vous n’êtes pas franc.

– Hein ?

– Vous n’aimez pas tant ce jeune hommeque vous le dites, répondit Zélie.

– Quelle bêtise !

– Vos yeux pleins de haine démentent vosparoles, poursuivit la jeune fille.

Le marchand de coco se pencha à l’oreille deZélie :

– Tu as tort, ma petite, dit-il toutbas ; il ne faut pas se brouiller avec un homme comme lePâtissier.

Mais Zélie était courageuse, une fois lepremier moment de crainte passé.

– Vous ne le saurez pas,répéta-t-elle.

– Ah ! je ne le sauraipas !

Et le Pâtissier ferma les poings aveccolère.

– Battez-moi si vous voulez, repritZélie, vous n’en aurez pas l’étrenne ; on m’en aflanqué bien d’autres, mais je ne ferai pas arriver dupoivre à un garçon qui est si dévoué que ça à une femme.

Le Pâtissier fit un pas et leva la main pourfrapper Zélie.

Le vieux marchand de cocos’interposa :

– Voyons, mes enfants, dit-il, je connaispeut-être un moyen de tout arranger. Un homme ne bat pas une femmequand il peut faire autrement.

– Je bats qui je veux, dit lePâtissier.

Et il fit un pas encore vers Zélie, qui avaitmis ses deux poings sur les hanches et l’attendait de piedferme.

– Mais écoutez donc mon idée, fit levieillard.

– Eh bien ! dit le Pâtissiers’arrêtant, dégoise-la vite, alors.

– Voici la chose. Zélie ne veut pasparler, reprit le marchand.

– Non, je ne parlerai pas ! ditZélie.

– Mais elle en a déjà trop dit.

– Comment cela ? demanda lePâtissier.

– N’a-t-elle pas dit que ce garçon quevous appelez Marmouset demeurait dans la maison d’où on l’arenvoyée, elle, Zélie ?

– Oui.

– Mais personne ne sait où je demeurais,dit Zélie d’un air de triomphe.

– Tu te trompes, répondit une voix defemme. Je te connais, moi.

Et une créature ignoble de laideur, couvertede haillons infects et la tête couronnée de rares cheveuxgrisonnants, qui jusque là était demeurée couchée sur le four, sedressa sur un coude et ajouta :

– Aussi vrai qu’on m’appelle la Mèreau petit bonheur et que je vendais des plaisirs à deux liardsdans le faubourg du Temple et le carré Saint-Martin, je te connais.Tu t’appelles Zélie ; Suivez-moi, jeunehomme, c’est un nom que les commis du Pauvre Diablet’ont donné.

– Qu’est-ce que ça prouve ? fitZélie.

– Tu demeurais rue du Vert-Bois, dans lamaison d’un marchand de vins, vers le milieu, à gauche. La porteaprès le bureau de tabac.

– Ce n’est pas vrai, dit Zélie, d’un tonmal assuré.

– Bon ! fit le Pâtissier, je suisfixé maintenant. Petite, tu l’as échappée belle. Bonsoir, lacompagnie.

Et le Pâtissier remonta se coucher sur le fourde l’Auberge des Innocents.

**

*

– Qu’est-ce que tu as donc été faire àl’Eldorado ? demanda un homme couché auprès duPâtissier.

– Prendre l’adresse de Marmouset.

– Qu’est-ce que c’est que ça,Marmouset ?

– Ah ! c’est juste, dit le Pâtissieravec amertume, tu ne me connais que depuis ma débine, toi, et tu nepeux pas savoir ce que c’est que Marmouset.

– Il est vrai, dit l’interlocuteur duPâtissier, que je ne te connais pas depuis longtemps, mais à lafaçon dont les camarades te saluent on voit que tu as dû être uncrâne.

– Oui, soupira le Pâtissier, mais c’estfini… vingt fois j’ai voulu reconstruire une bande, depuis sixmois, pas mèche !

Les uns me disent : « Il n’y a plusrien à faire dans le ravage. »

Les autres haussent les épaules etajoutent :

« Quelle confiance veux-tu que nous ayonsdans un homme qui s’est fait enfoncer parRocambole ? »

Le nom que venait de prononcer le Pâtissiern’était sans doute pas un mystère pour celui qui lui parlait à voixbasse, car il murmura :

– Rocambole en enfoncerait biend’autres.

– Il m’a tout pris, continua le Pâtissieravec un accent de haine violente, mes hommes, mon industrie, etjusqu’à la Camarde qui était folle de moi, et qui m’a refusé centsous, il y a huit jours.

Si on ne faisait pas un coup de temps entemps, on mourrait de faim.

– Tu ne m’as toujours pas dit ce quec’est que Marmouset.

– Un garçon que j’avais formé et quiétait plein d’intelligence. Rocambole me l’a pris.

– Et tu voudrais le ravoir ?

– Non, mais en retrouvant Marmouset, jeretrouverai peut-être Rocambole.

– Est-ce que tu voudrais qu’il te prennedans sa bande ?

– Lui ! fit le Pâtissier avec unaccent de haine sauvage.

– Alors ?…

– Mais je veux le retrouver pour mevenger.

– Camarade, dit l’interlocuteur del’ancien chef de bande, je ne connais pas Rocambole autrement quepar ce que j’en ai entendu dire ; mais je vais te donner unbon conseil.

– Parle.

– Ne te frotte pas à lui. Tu serasroulé.

– Moi tout seul, peut-être, dit lePâtissier, mais j’ai des amis… on verra…

Et il ne voulut pas s’expliquer davantage.

Quelques minutes après, il dormait, ou plutôtil feignait de dormir.

Mais de temps à autre, il ouvrait les yeux etsurveillait du regard l’Eldorado.

Le four à plâtre des fantaisistes commençait àse ralentir de sa bruyante gaîté.

On n’entendait plus la voix cassante etdominatrice de Nora Pitanchel. Le marchand de coco s’était endormi,et Zélie ne bougeait pas plus qu’une morte.

Alors le Pâtissier se leva, mit ses nippes aubout d’un bâton, et bien qu’il fût à peine deux heures du matin, ils’apprêta à quitter l’Auberge des Innocents.

– Où vas-tu ? lui demanda celui àqui il avait déjà fait quelques confidences.

– Je vais tâcher de tailler une bonnecroupière à ce gueux de Rocambole, répondit le Pâtissier.

– T’as tort, faut pas t’y frotter.

– Qui vivra verra, répondit lePâtissier.

Et il s’en alla.

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