Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 28

 

Vanda se vit perdue.

Elle n’avait pas d’arme sous la main et elleavait pour adversaire un de ces hommes aux jarrets d’acier quibondissent comme des tigres.

Mais la femme qui avait si longtemps vécu dela vie de Rocambole ne perdait jamais complètement la tête.

Un miracle seul pouvait la sauver.

Ce miracle, elle le fit sans l’intervention duciel.

Déjà sir Nively levait le bras pour frapper,et elle s’était réfugiée à l’autre bout de la chambre ; déjàla lame du poignard étincelait au feu des bougies, lorsque Vanda,par un geste rapide, dégrafa le manteau qui recouvrait sonpeignoir.

Le manteau tomba.

Le bras levé ne retomba point, la bête fauveivre de carnage s’arrêta, piquée au cœur par l’aiguillon del’amour.

Sir James recula d’un pas.

Et en reculant, il embrassa d’un regard cettebeauté hardie.

– Oh ! dit-il, en riant d’un rire detigre, avant que tu ne meures, il faut que ma vengeance soitcomplète ; il faut… Mais il n’acheva pas !

Vanda respira, elle avait pour dix secondesdétourné la foudre.

Et, à son tour, elle bondit à l’autreextrémité de la chambre et dit en ricanant :

– Que m’importe la mort ! quem’importe la honte ! pourvu que mon enfant soit sauvé.

– Ton enfant ! exclama sir Jamesinterdit.

– Hé ! oui, mon enfant !dit-elle.

Puis avec un rire de hyène, belle de désespoiret d’une ironie farouche :

– Croyez-vous pas, dit-elle, que si jen’avais un enfant que Rocambole tient en ses mains, j’aurais obéi àce forçat ?

En même temps, elle se mit à genoux, joignitles mains, passa du rire aux larmes, de la raillerie à l’accentsuppliant de la mère et dit :

– Faites de moi ce que vous voudrez,tuez-moi ensuite, j’ai mérité mon sort, et peu m’importe ;mais sauvez mon enfant, promettez-moi de l’arracher àRocambole.

Une réaction bizarre s’opérait chez sir JamesNively et son bras avait fini par retomber, toujours armé dupoignard, le long de son corps.

– Si vous refusez de m’écouter, ditencore Vanda, qui se redressa tout à coup, je vous échapperai parla mort.

En même temps, elle porta rapidement à seslèvres une bague qu’elle avait au doigt.

Sir James se laissa prendre à ce geste, ilcrut que le chaton de la bague renfermait quelque poisonfoudroyant.

Et ce n’était plus seulement la mort de Vandaqu’il voulait.

Et comme il se défiait encore de lui-même, ilalla s’asseoir à l’autre extrémité de la chambre, auprès de latable sur laquelle le thé était servi.

– Ah ! reprit-il, tu as unenfant ?

– Oui, dit Vanda.

– Et tu l’aimes ?

– Est-ce qu’une mère aime autre chose queson fils ?

– Et c’est Rocambole qui l’a en sonpouvoir ?

– Lui-même.

– Alors, c’était de peur qu’il ne tuâtcet enfant ?…

Les instincts brutaux de l’Anglo-Indiengrandissaient et se développaient par degrés.

Son œil caressait les splendides épaules deVanda, ses narines dilatées semblaient s’enivrer des voluptueuxeffluves qu’épanchait autour d’elle cette fière beauté.

Il y avait en lui, à cette heure, quelquechose de satanique et de fanatique à la fois.

Le satanisme de l’homme qui ne reculera plusdevant aucun crime.

Le fanatisme du fakir qui veut caresser sonidole avant de la briser.

– Parle, disait-il, parle… mais soisbrève… Que veux-tu que je fasse pour ton enfant ?

Vanda sentait bien qu’elle étaitcondamnée ; que cet homme, un moment hésitant, redeviendraitfurieux et sauvage tout à l’heure ; que si elle ne gagnait pasdu temps, avec l’espoir, hélas ! improbable, que Rocambolesurgirait de terre pour venir à son aide, cet homme finirait par lahacher à coups de poignard.

– Oui, reprit-elle, sauvez mon enfant…promettez-moi que vous le ferez…

– Je te le promets, dit sir James. Maisd’abord, où est-il ?

– Rocambole seul le sait.

– Et où est Rocambole ?

– Rue Saint-Lazare, 28.

– Est-ce tout ce que tu as à medemander ?

– Oui, dit-elle, essayant encore de lefasciner de son regard.

Mais sir James n’était plus homme à se laisserattendrir.

– Nous sommes seuls ici, dit-il. J’airenvoyé tous les domestiques. Il pleut au dehors, l’avenue estdéserte. On n’entendra point tes cris. Il faut m’obéir… etmourir !

Et il tenait le poignard dans sa maincrispée.

– Laissez-moi faire ma prière, dit-elleencore. Laissez-moi prier Dieu avant de me tuer !

Et de nouveau, elle se mit à genoux.

– Ah ! tu crois au ciel, toi… tucrois à une autre vie ? ricana le misérable.

Et comme s’il eût voulu éteindre lesblasphèmes qui brûlaient sa gorge, il s’empara de la tasse de théqu’il avait devant lui et la vida d’un trait, enrépétant :

– Hâte-toi ! hâte-toi !

En même temps il se leva, tenant toujours sonpoignard, et vint droit à Vanda.

Vanda jeta encore un cri.

Mais ce fut le dernier.

Au paroxysme de sa passion furieuse, sir JamesNively jeta son poignard sur la table.

Puis il enleva Vanda de ses brasnerveux :

– Je te hais et je t’aime !murmura-t-il.

Mais Vanda se débattit violemment et elleparvint à se dégager et à le repousser.

En même temps, elle sauta sur le poignardqu’il avait laissé sur la table et s’en empara.

Mais sir James riait d’un rire féroce.

– Il faut m’obéir, disait-il, il lefaut !

Elle s’était acculée dans un angle, lepoignard à la main, pelotonnée et prête à bondir.

– Si vous faites un pas, disait-elle,c’est moi qui vous tuerai !

Sir James riait et blasphémait tout à lafois.

– Bah ! disait-il, est-ce qu’unÉtrangleur craint le poignard d’une femme ?

Et, se rejetant en arrière, il tira de sapoche le terrible lasso sans lequel jamais ne marche un disciple dela déesse Kâli.

Vanda comprit que sir James allait être unefois encore vainqueur dans cette lutte désespérée qu’elle soutenaitcontre lui depuis dix minutes.

Que pouvait le poignard contre le terriblelasso ?

La corde de soie tournoyait dans l’air ensifflant.

Et, tout à coup, elle s’abattit sur Vanda.

– Au moins je mourrai sanssouillure ! pensa-t-elle, tandis que le lasso s’enroulaitcomme un reptile autour de son cou.

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