Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 34

 

Nous l’avons dit, la nuit était noire.

Si noire que, si le Pâtissier n’eût pas connuparfaitement le chemin, les ravisseurs se fussent certainementperdus dans les champs.

Le Pâtissier avait pris un étroit sentier quidescendait de la butte dans le vallon.

Ce sentier était boueux, et Vanda, queTimoléon poussait devant lui et que la Chivotte tenait toujours parle bras, glissa plus d’une fois, en marchant derrière lePâtissier.

Mais la Chivotte la soutint.

Le silence était profond ; on n’entendaitau loin que le sifflet des locomotives se dirigeant vers Paris ous’en éloignant.

– Où peuvent-ils me conduire et oùsuis-je donc ? se demandait Vanda.

Et ces deux questions étaient insolubles pourelle.

Au bout d’un quart d’heure de marche, lePâtissier s’arrêta.

– Qu’est-ce qu’il y a ? demandaTimoléon.

– Je pense à une chose, répondit lePâtissier.

– Quoi donc ?

– Que si nous allons au puits ducommissaire, nous y trouverons de la compagnie plus que nousn’en désirerions peut-être.

– Nous n’allons pas au puits ducommissaire, répondit Timoléon.

– Ah ! et où allons-nous ?

– À l’hôtel du Dab de laCigogne.

– Connais pas ! dit lePâtissier.

– Il y a bien d’autres choses que tu neconnais pas, répondit Timoléon, marche toujours.

Ils arrivèrent dans le vallon.

Alors Timoléon s’arrêta à son tour.

– Est-ce que tu crois avoir découvert lescarrières de Pantin ? dit-il au Pâtissier.

– Certainement non.

– Alors, il est tout simple que tu ne lesconnaisses pas aussi bien que moi.

– Je connais le puits ducommissaire.

– Bon ! fit Timoléon avec dédain,c’est là que vont les petits voleurs, les vagabonds, les filles debas étage.

– Je connais le GrandTivoli…

– Peuh ! un puisard où la police nedaignerait pas descendre.

– Pourquoi ?

– Parce qu’il ne s’y trouve que desamis dans l’enfance.

Cette expression voulait dire : desmalfaiteurs en herbe.

– Et la chapelle deSaint-Crispin, dit le Pâtissier, ainsi nommée parce qu’il yfait si chaud qu’on y est toujours beaucoup de monde, et, parconséquent, à l’étroit.

– Une pétaudière, fitdédaigneusement Timoléon. Et puis, j’aime à être chez moi.

– Bon !

– Et c’est pour cela que nous allons àl’hôtel du Dab.

– On y est donc seul ?

– Parfaitement.

– Les camarades n’y viennentpas ?

– Jamais.

– Pourquoi donc ?

– Mais parce qu’ils ne sauraient pastrouver l’entrée.

– Oh ! oh ! fit le Pâtissier,qui tombait de surprise en surprise.

– Vois-tu, poursuivit Timoléon, ce n’estpas d’hier que je suis dans le métier.

– Je le sais bien.

– J’ai été voleur, j’ai étérousse et quelquefois les deux ensemble.

Comme il pleut, qu’il fait mauvais marcher etqu’un bout de conversation aide à trouver le temps moins long, jete vas raconter comment j’ai découvert l’hôtel du Dab –c’est moi qui lui ai donne ce nom.

Vanda écoutait cet étrange dialogue et sedisait :

– Si je parviens à leur échapper, il estprobable que Rocambole fera son profit de tout cela.

Timoléon poursuivit :

– Pour lors, j’étais rousse, et on avaitconfiance en moi à la préfecture.

Un jour le chef de la Sûreté me dit :« on a arrêté un homme violemment soupçonné d’avoir volécinquante mille francs à un garçon de recettes. Nous avons levoleur, mais nous voudrions avoir les cinquante mille francs. Allezconfesser le bonhomme. »

Je me rendis en prison, le voleur ne se fitpas prier :

– Écoutez, me dit-il, si vous voulezfaciliter mon évasion, je vous dirai où est le magot et nouspartagerons.

J’accepte. Deux jours après, je me rends dansla prison.

Mon homme était dans un cabanon de Mazas.

Je lui donne une lime et une corde.

– Cette nuit, lui dis-je, tu scieras unbarreau, tu attacheras cette corde et tu fileras.

Alors il me dit : « J’ai découvertun puisard que personne ne connaît dans les Carrières dePantin. C’est là qu’est l’argent. »

Et il me donna des indications si précisesqu’un enfant en nourrice aurait trouvé son chemin.

– Alors vous trouvâtes le puisard ?dit le Pâtissier.

– Sans doute.

– Et le magot ?

– Naturellement.

– Alors le voleur eut sa part ?

– Non ! dit Timoléon en riant, caril lui arriva un accident.

– Comment ça ?

– La nuit venue il scia son barreau et ilattacha sa corde.

– Bon.

– Puis il se laissa couler tout dulong.

– Et on l’arrêta ?

– Non, mais la nuit était aussi noirequ’aujourd’hui.

Quand il fut au bout de la corde, il lâchatout, croyant qu’il était à terre.

– Et alors…

– Alors la corde se trouva trop courte detrente à quarante pieds et il se tua en tombant de cette hauteurdans le chemin de ronde.

– Patron, dit le Pâtissier, avec unaccent de naïve admiration, vous êtes un fier homme.

– Combien y a-t-il de temps qu’onfréquente les carrières ? demanda Timoléon qui était peusensible aux éloges.

– Une couple de mois.

– Eh bien ! j’en suis sûr, personnen’a trouvé l’entrée de mon puisard.

– Où est-il donc ?

– Marche toujours.

Ils cheminèrent environ dix minutes encore,puis tout à coup Timoléon dit :

– Est-ce qu’il n’y a pas un vieux murcouvert de broussailles sur la gauche ?

– Oui, à dix pas…

– C’est là.

Et Timoléon, recommandant à la Chivotte de nepas lâcher Vanda, se mit à marcher auprès du Pâtissier.

Ils atteignirent ainsi le vieux mur qui étaitle dernier débris de l’enceinte d’un jardin abandonné.

Au milieu du jardin, il y avait un puits.

Ce puits était probablement sans eau, car onl’avait couvert de vieilles planches et sur ces planches il y avaitde la terre et des pierres qui semblaient n’avoir pas été remuéesdepuis plusieurs années.

– À l’ouvrage ! dit Timoléon, dontles yeux s’étaient faits peu à peu à l’obscurité.

Il se mit à déblayer les planches de leurfardeau de terre et de pierre.

Puis, il les enleva une à une et mit àdécouvert l’orifice du puits.

– Voyons les chimiques, à présent.

Il tira de sa poche un morceau d’étoupegoudronnée et une boîte d’allumettes-bougies.

Une allumette mit le feu à l’étoupe, etl’étoupe enflammée tomba en tourbillonnant au fond du puits où ellene s’éteignit point.

Le puits était sans eau.

Il avait à peine sept ou huit pieds deprofondeur, et, se suspendant par les mains à la margelle, Timoléons’y laissa tomber le premier, en disant :

– Veillez bien sur mademoiselle.

– Soyez tranquille, répondit la Chivotte,qui se cramponnait à Vanda.

– Patron, cria le Pâtissier, c’est pireque la chapelle de Saint-Crispin, ça ; nous ne tiendronsjamais quatre là-dedans.

– Imbécile ! répondit Timoléon, tuvas voir que ce n’est que l’antichambre de l’hôtel duDab.

Nous nous logeons mieux que ça, nousautres.

Et la main de Timoléon se promena sur lesparois du puits avec une lenteur mystérieuse.

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