Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 25

 

À peu près à l’heure où Rocambole conduisaitmilady au petit hôtel de la rue de Marignan, le train express deBâle arrivait à Paris.

Un homme au teint bronzé, aux cheveux noirssemés ça et là d’un filigrane d’argent, mais aux dentséblouissantes de blancheur, au regard ardent, à la tournurejuvénile, descendit d’un coupé en compagnie de deux autres hommes,bronzés comme lui et qui, quoique mis avec une certaine recherche,paraissaient néanmoins n’être que ses domestiques.

Ce personnage, qui venait de Constantinoplepar la voie de terre et qui, par conséquent, après avoir remonté leDanube jusqu’à Vienne, avait pris les chemins de fer allemands,voyageait avec un passeport turc qui le qualifiait d’effendi,c’est-à-dire de colonel, lui attribuait le nom de Rostuck pacha etdisait qu’il était accompagné de deux secrétaires ou officiersd’ordonnance.

L’un de ces derniers, qui remplissait auprèsde ce haut personnage les fonctions additionnelles d’interprète,demanda une voiture de place, y fit charger les bagages de sonmaître et indiqua au cocher, en assez bon français, le Grand-Hôtelcomme lieu de destination.

Vingt minutes après, Rostuck pacha arrivait auGrand-Hôtel et demandait un somptueux appartement, toujours parvoie d’interprète, car il ne paraissait pas savoir un mot defrançais.

Tandis qu’on transportait ses bagages, et queses deux secrétaires faisaient préparer le logis demandé, le Turc,ou plutôt celui qui se donnait comme tel, alluma un cigare et semit à se promener de long en large sur le boulevard desCapucines.

Comme il était vêtu à l’européenne et avec unedistinction parfaite, comme il se dispensait de porter cet odieuxbonnet rouge à gland de soie des Turcs vulgaires et l’avaitremplacé par un chapeau ordinaire, il n’attira l’attention depersonne, en dépit de son visage olivâtre, et les passants déjàrares le prirent pour un honnête voyageur qui jouissait de latiédeur d’une nuit presque point animée.

Un des secrétaires le rejoignit et vint luidire que son appartement était prêt.

Rostuck pacha se borna à répondre par un signequi voulait dire :

– Je prends l’air très volontiers.

Et il continua à se promener de long en large,jetant un regard distrait sur les voitures qui entraient dans lacour de l’hôtel ou en sortaient.

Mais tout à coup il tressaillit, et une sortede cri guttural lui échappa.

Une voiture venait d’entrer dans la cour.

Dans cette voiture, l’étranger avait aperçuune femme pâle et qui paraissait en proie à une sorte desurexcitation.

– Miss Ellen ! murmura-t-il enanglais.

Puis, au lieu de s’avancer, il s’effaça aucontraire dans l’ombre d’une porte cochère et attendit.

Le fiacre s’arrêta devant le péristyle etmilady, car c’était elle, descendit.

Un valet de pied s’avança avec unflambeau.

– Le major Hoff est-il rentré ?demanda milady.

– Pas encore, lui fut-il répondu.

**

*

Milady était si agitée qu’elle ne vit personneautour d’elle, pas même cet étranger aux yeux de feu, qui s’étaitarrêté sous la porte cochère et qui avait tressailli si violemmenten entendant prononcer le nom du major Hoff, que son visage brunétait devenu aussi blanc que celui d’un Européen du Nord.

Milady, conduite par le valet, monta chezelle.

En présence de Rocambole elle avait fait bonnecontenance.

Mais une fois seule, elle s’était répété lesquestions que celui-ci lui avait posées, et elle les trouvaitinsolubles.

Il était évident, en effet, que si son filssavait la vérité, il la renierait pour sa mère.

Peut-être même, – Rocambole le lui avait dit,– se tuerait-il.

Mais rendre cette fortune immense, acquise auprix de tant de crimes et qu’elle avait si bien cachée que nul nesaurait la découvrir, n’était-ce pas, pour elle, un sacrificeau-dessus de ses forces ?

Et puis, comment annoncer à ce fils, qui laconnaissait maintenant et à qui elle avait dit « tu seras leplus riche héritier de France ! » : « Tu esruiné » ?

Elle avait deviné dans le major Avatar un deces adversaires avec lesquels on ne joue qu’une partie, qu’on perdpresque toujours.

Il fallait donc parer au plus vite le coupterrible qui la menaçait, ou bien tout était perdu.

Un seul homme pouvait la servir, et cet hommec’était Franz.

Franz n’était pas rentré encore.

Le prétendu major Hoff passait très souventune partie de la nuit au  Club des Asperges et nerevenait que fort tard.

Milady, bien que depuis longtemps elle fût samaîtresse, avait su entourer leur liaison de certainesapparences.

Le major avait dans l’hôtel un appartementséparé.

Milady ordonna au domestique qui l’avaitaccompagnée de ne se coucher que lorsque le major rentrerait et delui dire qu’elle l’attendait.

Le domestique parti, milady, qui avait la têteen feu, ouvrit la fenêtre et exposa son front brûlant à l’air vifde la nuit.

– Mon fils ! mon fils !répétait-elle avec une sorte de délire.

Une heure s’écoula.

Milady cherchait un moyen de fuir Rocambole,de lui arracher Lucien, d’échapper à sa poursuite, et ne letrouvait pas.

À la fin un pas d’homme se fit entendre dansle corridor, un peu assourdi par le tapis qui en couvrait lesol.

– Enfin ! murmura milady, voiciFranz…

On frappa à la porte.

– Entrez, dit-elle.

Mais soudain milady recula, comme elle avaitreculé, naguère, lorsque Rocambole s’était démasqué.

Ce n’était pourtant pas le major Avatar quientrait.

Ce n’était pas Franz non plus.

C’était le personnage mystérieux arrivé sousle nom de Rostuck pacha et qui s’avança lentement vers milady, lesbras croisés et faisant peser sur elle un regard de reproche.

– Me reconnais-tu, miss Ellen ?dit-il.

– Ali-Remjeh ! murmura-t-elle.

Et ses jambes fléchirent, et elle tombapresque sans connaissance, dans un fauteuil qui se trouvait auprèsde la cheminée.

– Oui, répondit l’Indien en tirant unpoignard, c’est moi qui viens châtier les coupables !

Et il continua à marcher lentement verselle.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer