Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 9

 

Ainsi que nous l’avons dit déjà, Philippetten’avait pas vu, sans quelque inquiétude, le major Avatar se faireconduire rue du Vert-Bois.

Il est même probable que si elle avait eu lesdeux cents louis en sa possession, elle aurait pris la fuite tandisque Rocambole entrait dans la boutique du fruitier.

Mais Rocambole ne s’était point dessaisi, etelle resta.

Ensuite une réflexion était venue à son aide,pour calmer son anxiété qui n’était point dépourvue delogique :

– Je ne sais pas pourquoi Timoléon aenfermé cette dame dans les carrières, se dit-elle ; je nesais pas davantage pourquoi il veut qu’on la délivre ;pourquoi saurais-je les raisons du messière à venir rue duVert-Bois ? Tout ce que je sais, et ça me suffit, c’est qu’ily a deux cents louis à partager ; et voilà !

Rocambole, qui ne pouvait deviner lesréflexions de la vieille fille, se mit alors à l’interroger, tandisque la voiture montait le faubourg Saint-Germain.

Philippette lui raconta fort naïvement que, setrouvant sans asile, elle était allée coucher aux Carrières dePantin ; mais que là, on l’avait chassée en disantqu’elle était trop vieille ; puis qu’à force de chercher, elleavait trouvé une carrière à ciel ouvert avec un reste de feu, toutau fond, qu’elle y était entrée, et que, tandis qu’elle essayait deranimer le feu, elle avait entendu Vanda.

Philippette décrivit de son mieux la carrièreet l’excavation trop étroite à travers laquelle Vanda avait essayévainement de passer.

Elle raconta que Vanda lui avait détaillé laplace topographique de la carrière dans laquelle on l’avaitenfermée.

Rocambole écoutait tous ces détails avecattention.

Philippette lui dit ensuite :

– À la façon dont elle m’a parlé, lapetite dame, j’ai bien compris qu’il n’y avait qu’un homme capablede faire tout ça et que cet homme était Timoléon.

– Tu le connais donc ? fitRocambole.

– J’ai travaillé pour lui dans le temps,mais c’est un pingre. On n’a pas de l’eau à boire, avec lui, etpuis je n’aime pas les rousses. Alors, la petite dame m’adit que vous me donneriez beaucoup d’argent. Dame ! j’ai faitmes conditions, comme vous voyez… avec deux cents louis, j’ai dequoi boire et manger le restant de mes jours.

Rocambole ne répondit pas.

La voiture arriva en haut des buttesChaumont.

Rocambole donna dix francs au cocher et lerenvoya.

Puis il dit à Philippette :

– Viens ! je sais le chemin.

– Encore une drôle de chose ! pensal’ivrognesse.

Ils descendirent dans la plaine par ce sentierque Rocambole avait déjà suivi une fois.

Puis ils arrivèrent à cette planche jetéecomme un pont sur le torrent sans eau.

Bien qu’il ne fît pas clair du tout, la nuitétait moins obscure que deux heures auparavant.

Cela tenait sans doute à un vent du Nord quiavait nettoyé le ciel et remis à découvert les étoiles.

Rocambole suivait Philippette qui luidisait :

– Allons vite ! la pauvre petitedame doit se désespérer.

Rocambole, regardant, n’avançait qu’avecprécaution, portant autour de lui un regard clair et froid, auquelrien n’échappait.

La plaine était déserte et rien nebougeait.

Ils passèrent auprès du puits, dans lequelTimoléon et le Pâtissier s’étaient blottis.

Un moment, ce puits fixa l’attention deRocambole, mais Philippette marchait en avant.

Et puis la nature a refusé à l’homme cettepuissance d’odorat qu’elle a accordée aux animaux.

Rocambole passa.

Quelques minutes après, il était dans lacarrière à ciel ouvert et Vanda jetait un cri de joie.

Philippette s’accroupit de nouveau sur lefoyer pour rallumer quelques tisons, sur lesquels elle jeta unepoignée de broussailles sèches.

Bientôt les broussailles flambèrent etprojetèrent autour d’elle une certaine clarté.

Il suffit d’un coup d’œil à Rocambole pour seconvaincre qu’il lui serait impossible d’élargir ce trou formé dansle rocher, et à travers lequel il apercevait Vanda.

Celle-ci lui dit :

– Ce n’est pas par là que je suis entrée,comme tu le penses bien.

Et elle raconta l’histoire du puits, etdécrivit minutieusement ce couloir souterrain que fermait une portemassive et solidement fermée.

– C’est bien, dit Rocambole, j’enfonceraila porte à coups de pic.

Mais Philippette lui dit :

– Je sais un moyen plus simple dedélivrer madame.

– Lequel ?

– Avez-vous vu, reprit la vieille ens’adressant à Vanda, une sorte d’échafaudage au-dessus de lacarrière, et qui forme comme un plafond ?

– Oui, répondit Vanda.

– Eh bien ! en deux coups de bêcheon aura raison de la première entrée de la caverne, et avec lacorde que monsieur a apportée…

– Cette femme a raison, ditRocambole.

Philippette prit un tison enflammé etdit :

– Venez, je vais vous éclairer.

Rocambole la suivit et, pendant ce temps,Vanda se mit à ramper dans son boyau souterrain, de manière àredescendre dans la carrière.

L’entrée primitive de la carrière était àégale distance, nous l’avons dit, du puits et de l’autre carrière àciel ouvert, dans laquelle Rocambole avait pénétré tout àl’heure.

Celui-ci se mit à écarter les broussailles eteut bientôt trouvé une excavation de peu de profondeur danslaquelle il descendit.

Puis, ayant frappé du pied, il sentit le solrésonner sous lui, ce qui annonçait une cavité.

Soudain il se servit de son pic et en quelquescoups il eut déplacé une grosse pierre, puis une autre et encoreune autre.

Alors un trou apparut et les pierres tombèrentavec un bruit lourd.

– Vanda ! cria Rocambole.

Une voix monta des profondeurs ténébreuses decet abîme :

– Me voilà ! disait-elle.

Rocambole décrocha sa corde et en fixa uneextrémité à un bloc de rocher qui se trouvait auprès del’excavation.

Puis, quand il fut certain qu’elle étaitsolidement attachée, il dit à Philippette :

– Fais le guet, je descends ; lapauvre femme doit être trop exténuée de fatigue et de faim pouravoir la force de monter toute seule.

Philippette eut bien envie, en ce moment, deréclamer son argent.

Mais la crainte que Rocambole ne se défiât dupiège qu’on lui avait si habilement tendu jusque-là, l’enempêcha.

Rocambole saisit la corde et descendit avecl’adresse et la légèreté d’un somnambule.

Philippette voyait la corde se tendre sous lepoids de son corps.

Tout à coup la broussaille voisine s’agita, unêtre humain s’avança en rampant jusqu’à Philippette qui recula.

C’était Timoléon.

– Vous ! dit la vieille.

– Moi, tais-toi !

Et Timoléon qui tenait une hache à la main,coupa la corde d’un seul coup.

On entendit en même temps la chute d’un corps,puis un cri de douleur remonta des profondeurs de l’abîme.

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