Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 31

 

Vanda habitait toujours le petit hôtel de larue de Marignan.

Depuis quinze jours, cette maison d’apparencearistocratique et paisible avait cependant vu bien des événementsmystérieux.

Plus d’une fois, la nuit, à l’heure où lesChamps-Élysées deviennent déserts, une voiture de place s’étaitarrêtée devant la grille du petit hôtel.

Tantôt un homme en était descendu.

Tantôt une femme.

Quelquefois l’un et l’autre en même temps.

Pendant le jour, les habitants du quartierapercevaient parfois une jeune femme se promenant dans lejardin.

C’était Vanda.

Souvent aussi, on voyait entrer et sortir unvieux domestique à cheveux blancs et à stature colossale.

C’était Milon.

Mais c’était tout ; et personne nesoupçonnait que le petit hôtel renfermât d’autres hôtes.

Cependant, la Mort-des-Braves, Noël, Marmousetet Gipsy y étaient venus successivement, et n’en avaient plusbougé.

Peut-être même que Milon aurait pu dire quesir James Nively, le chef des Étrangleurs, était enfermé dans lescaves et attendait vainement l’heure de sa délivrance.

Cette heure ne sonnait pas.

Enfin, le lendemain soir du jour où le majorAvatar avait rendu visite à Lucien, Vanda entendit une clé tournerdans la serrure de la grille.

C’était Rocambole qui revenait.

Rocambole alla droit à la chambre de Vanda etlui dit :

– Je t’apporte mes instructions.

– Comment, maître, dit-elle, tu parsencore ?

– Oui.

– Où vas-tu ?

– Je n’en sais rien.

Elle le regarda avec étonnement.

– Je ne le sais pas aujourd’hui, dit-il,mais je le saurai dans deux jours. Je pars, et j’emmène Milon, laMort-des-braves et Noël.

– Et moi ?…

– Toi, je te confie la garde de Marmousetet de Gipsy.

Vanda s’inclina en signe d’obéissance.

– Et l’Anglais, que comptes-tu enfaire ?

– Je l’emmène avec moi.

Et Rocambole tira à lui un gland desonnette ; Milon accourut.

– Tu vas te tenir prêt à partir dans uneheure, dit-il.

– Avec vous, maître ?

– Oui, fit Rocambole.

Puis s’adressant de nouveau à Vanda :

– Comment va Gipsy ?

– Je crois qu’avant huit jours, elle aurarecouvré la raison. Du reste, elle ne peut plus me quitter, depuisqu’elle est ici. Elle passe des heures entières à me tenir lesmains et à me regarder.

– Marmouset a-t-il donc perdu de soninfluence ?

– Oh ! non, on sent qu’ellel’aime !…

– Si Marmouset est aimé de Gipsy, qu’ellerevienne à la raison et qu’elle l’épouse, il aura fait un beaurêve, dit Rocambole en souriant.

– Mais nous n’avons toujours pas lesmillions.

– Je vais les chercher.

Et Rocambole ouvrit son pardessus et tira desa poche un gros pli cacheté qu’il tendit à Vanda.

– Qu’est-ce que cela ?demanda-t-elle.

– Écoute bien. Si dans huit jours je nesuis pas revenu, tu ouvriras cette lettre.

– Bien.

– Et tu suivras de point en point lesinstructions qu’elle renferme.

– Je t’obéirai, maître, dit Vanda avecinquiétude. Mais pourquoi ne serais-tu pas ici dans huitjours ?

– Parce que je vais m’embarquer auHavre.

– Pour l’Angleterre.

– Je ne sais pas… Je ne le saurai qu’enmontant à bord.

Vanda courba la tête et ne fit plusd’objections.

**

*

Cependant, sir James Nively, terrassé parMilon, quelques jours auparavant, avait été garrotté et bâillonné,puis enfermé dans la cave de l’hôtel.

Deux fois par jour, on lui apportait àmanger ; alors, on lui ôtait son bâillon.

Après avoir passé par toutes les phases de laterreur et du désespoir, sir James avait fini par tomber dans cetteprostration résignée qui est commune aux races fatalistes del’Orient.

Sa captivité durait depuis quinze jourslorsque, un soir, la porte de son cachot s’ouvrit et livra passageà Milon, son geôlier ordinaire.

Mais Milon n’était pas seul.

Un homme l’accompagnait ; et à la vue decet homme, sir James tressaillit.

Il avait reconnu Franz, c’est-à-dire le majorHoff, le serviteur dévoué de milady.

Franz tira de sa poche une bourse pleine d’orqu’il tendit à Milon.

– Voilà le prix de tes services,dit-il.

Milon prit la bourse avec un tel empressementque sir James le crut réellement acheté par Franz.

Puis il s’en alla laissant ce dernier avec sirJames.

Le baronnet regardait le major Hoff avec unétonnement joyeux.

– Vous ici ! fit-il enfin.

– Oui, dit le major Hoff, je viens vousdélivrer.

– Me délivrer !

– J’ai corrompu votre gardien et vousallez pouvoir partir d’ici.

– Mais Rocambole ?

– Il est absent.

– Cette maison est pourtant pleine de sescréatures.

– Vous vous trompez. Tout le monde estsorti.

– Ah !

– Milon les a tous éloignés.

En même temps Franz détachait les liens de sirJames, ajoutant :

– Nous n’avons pas une minute àperdre.

– Pour sortir d’ici ?

– D’abord, et quitter Paris ensuite. Sivous voulez être libre, il faut me faire un serment.

– Lequel ?

– Celui de m’obéir pendant quarante-huitheures, si étranges que puissent vous paraître mes volontés.

– Je vous obéirai, répondit sir James,qui avait soif de liberté.

– Alors, suivez-moi.

Et Franz entraîna sir James et prit leflambeau que lui avait laissé Milon.

Ils remontèrent dans le vestibule.

L’hôtel était silencieux et paraissaitdésert.

À la grille, stationnait une voiture.

Franz en ouvrit la portière et dit à sirJames :

– Montez !

– Mais, où allons-nous ? demanda lebaronnet.

– Au chemin de fer de l’Ouest, prendre letrain de minuit qui arrive au Havre à six heures.

– Nous allons au Havre ?

– Nous embarquer pour l’Angleterre.

– Mais, dit sir James avec un éclair dehaine dans les yeux, j’aurais pourtant voulu me venger…

– De qui ?

– De Rocambole.

– La vengeance est là-bas, réponditFranz.

Et il remonta dans la voiture, auprès dubaronnet.

Ce dernier ne pouvait supposer que le majorHoff avait pour jamais déserté la cause de milady, et ils’abandonnait à lui avec une aveugle confiance.

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