Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 21

 

Le Pâtissier descendit dans Paris.

Lorsqu’il fut à l’ancienne barrière de laVillette, au lieu de suivre le faubourg Saint-Martin, il prit larue Lafayette.

Cette voie nouvelle, une des plus larges deParis, ne conduisant à aucune halle, est forcément la plustranquille à deux heures du matin.

Le Pâtissier ne rencontra pas dix passantsattardés de l’extrémité nord-est de la rue à la placeSaint-Vincent-de-Paul qu’elle traverse.

Cependant un homme assez bien couvert quirentrait chez lui eut la complaisance de lui tendre son cigare pourallumer sa pipe.

Le Pâtissier, qui était en loques et portaitun chapeau sans bords, eut une tentation :

Sauter à la gorge du monsieur et ledévaliser.

Mais il songea à Rocambole, c’est-à-dire à savengeance et la tentation s’évanouit.

Arrivé au faubourg Poissonnière, il quitta larue Lafayette pour prendre la rue Bellefond.

La maison où Antoinette Miller avait été laprisonnière de Timoléon et dans laquelle, sans l’intervention deVanda, elle eût certainement péri, existait toujours.

En passant rue Lafayette, on pouvait voirencore le pavillon situé à l’extrémité du jardin et qui paraissaitsuspendu dans les airs.

Le Pâtissier s’arrêta à la porte de la maison,mit deux doigts sur sa bouche et siffla d’une façonparticulière.

La porte ne s’ouvrit point, mais un volet demansarde s’entrebâilla peu après.

Le Pâtissier siffla une seconde fois.

Le volet s’ouvrit tout grand.

Puis une voix dit :

– Je descends.

En effet, quelques minutes plus tard, la portes’ouvrit et un homme sortit.

Cet homme, qui s’en était revenu rueBellefond, comme le gibier chassé finit par revenir à son lancer,n’était autre que Timoléon.

Mais Timoléon méconnaissable, courbé, vieillide vingt années en quelques mois ; Timoléon, l’implacableennemi de Rocambole et que Rocambole n’aurait peut-être pas reconnuen dépit de son œil de lynx.

Timoléon avait vieilli de trente ans.

Il était revenu à Paris malgré la défenseformelle de Rocambole.

Naturellement il était allé demander asile àces portiers, ses complices d’autrefois, qui faisaient la sourdeoreille quand il y avait du bruit dans le pavillon mystérieux.

Timoléon revenait pour se venger.

Cet homme, qui n’avait aimé que sa fille, quin’avait eu qu’une passion, l’argent, cet homme n’avait plus defille, cet homme n’avait plus ni argent, ni pain.

Mais il avait au cœur une haine infernalequ’il voulait assouvir à tout prix.

Et l’objet de cette haine c’étaitRocambole.

Le jour de son arrivée, comme il se promenaitsur un boulevard extérieur, cherchant un marchand de vins chezlequel il pût dîner pour quelques sous, il rencontra lePâtissier.

Autrefois, on s’en souvient, Timoléon avaitservi la police.

Tous les voleurs un peu âgés lui étaientconnus.

Il avait employé souvent le Pâtissier.

Celui-ci ne le reconnaissait pas.

– Je suis Timoléon, lui dit-il.

– Pas possible ! s’écria l’ancienchef de bande.

Timoléon eut un sourire triste :

– Je suis un peu dégommé, dit-il ;que veux-tu ? on a des hauts et des bas. Et toi, comment va leravage ?

– Je suis ruiné, enfoncé, geignit lePâtissier. J’ai eu des malheurs comme personne. Voulez-vous boireun coup, patron ? Entrons-là, chez le mannezingue, je vousconterai ça.

Timoléon avait suivi le Pâtissier, et lePâtissier lui avait raconté la désertion complète de la bande, quis’était rangée sous la bannière de Rocambole.

Quand le Pâtissier eut achevé son récit,Timoléon lui dit :

– Tu hais donc bien Rocambole ?

– Oh ! si je le hais !

– Si jamais je pouvais t’aider à tevenger…

– Vous feriez cela, vous !

– Peut-être… Dis-moi où on pourrait tetrouver.

– Je couche aux Carrièresd’Amérique.

– C’est bien, j’irai t’y voir un jour oul’autre.

Et ils se quittèrent.

Deux jours après, Timoléon avait retrouvé lestraces de Rocambole et il savait qu’il était à Londres.

Timoléon partit pour Londres, le soir même,employant à ce voyage ses dernières ressources.

Huit jours plus tard, il était de retour et semettait en quête du Pâtissier.

Quand il eut retrouvé celui-ci, il luidit :

– Veux-tu toujours te venger deRocambole ?

– Si je le veux !

– Eh bien ! il n’est plus àLondres…

– Ah !

– Il est à Paris.

– Où donc ça ?

– Je ne sais pas, mais il te sera facilede le savoir. Quand tu le sauras, à quelque heure de jour ou denuit que ce soit, viens me trouver rue Bellefond.

Donc, cette nuit-là, en voyant arriver lePâtissier, Timoléon éprouva un mouvement de joie sauvage. Si lePâtissier revenait, c’est qu’il avait trouvé Rocambole.

– Eh bien ! dit-il, oùest-il ?

– Lui, je ne sais pas encore, mais jesais où est Marmouset.

Et le Pâtissier rapporta fidèlement, mot pourmot, ce qui s’était passé aux Carrières d’Amérique.

– Ah ! fit Timoléon, il est avec unefemme ?

– Oui, une jeune fille.

– Qui est folle ?

– Zélie le disait.

– Et qui ne parle qu’anglais ?

– Ça, dit le Pâtissier, je ne saispas : je ne crois pas que Zélie en ait parlé.

L’œil de Timoléon brillait d’une joieféroce.

– Pâtissier, mon ami, dit-il en posant lamain sur l’épaule du bandit, tu as peut-être fait une belledécouverte.

– Vrai ?

– Et il y a à Paris ou à Londres, je nesais pas au juste, quelqu’un qui remue des billets de mille francscomme nous avons remué des sous, qui nous fera notre fortune enéchange de la femme à Marmouset.

Allons-y !

– Où donc ? demanda lePâtissier.

– Rue du Vert-Bois, pardieu !

Et Timoléon redressa sa taille voûtée et pourun moment les ardeurs de la jeunesse lui revinrent.

Il prit le Pâtissier par le bras et l’entraînavers le faubourg Poissonnière.

– Mais, dit le Pâtissier, faut se méfier,il est fin comme une fouine, ce petit Marmouset.

– Eh bien ?

– Il me connaît et sait que je n’aime passon patron.

– Il ne te verra pas : montre-moiseulement la maison, c’est tout ce qu’il me faut.

Et Timoléon murmura :

– Ah ! Rocambole, maintenant que mapauvre enfant dort sous la terre glacée, je n’ai plus peur de toi,et j’ai fait d’avance à ma vengeance le sacrifice de mavie !

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