Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 27

 

Timoléon, car c’était lui que nous retrouvonsainsi métamorphosé, garda un moment le silence.

Il attendait que la colère de sir James en fûtarrivée à ce degré de fureur froide et concentrée que les Russesont si bien nommée la colère blanche.

Pendant quelques minutes, sir James arpenta lachambre comme une bête féroce prisonnière arpente sa cage. Puis,tout à coup, il vint se rasseoir, calme, effrayant, en face deTimoléon.

– Monsieur, lui dit-il, je ne sais pasqui vous êtes, mais écoutez bien mes paroles : Si ce que vousavez dit est vrai, cette femme mourra… Si vous m’avez menti, jevous tuerai !…

– J’espère me bien porter longtemps,répondit Timoléon avec un sourire.

Puis après avoir regardé sir Jamesfixement :

– Vous pensez bien, monsieur, dit-il, queje ne suis pas venu ici uniquement pour vous prévenir des dangersque vous couriez.

– Eh bien ! que voulez-vous ?demanda sir James.

– Vous proposer une affaire.

– Voyons ?

– Je sais où est Gipsy.

– Vrai ?

– Je puis vous la livrer. Je puis vousdonner la preuve que Rocambole et Vanda n’ont pas cessé de s’aimer,de correspondre, de se voir et de vous jouer.

– Et vous venez me vendre vossecrets !

– L’argent n’est rien, la vengeance esttout ! répondit Timoléon.

Et il eut dans les yeux un tel éclair de haineque sir James ne douta plus un seul instant de sa sincérité.

– Vous haïssez donc Rocambole ?demanda sir James.

– Il a tué ma fille, réponditTimoléon.

Et il courba la tête avec un sentiment dedouleur si poignant, si immense, que sir James comprit.

– Ainsi, vous voulez vousvenger ?

– Milord, reprit Timoléon, je suispauvre, presque misérable. Eh bien ! je n’aurai recours àvotre bourse que pour faire face aux dépenses qu’exigeront lescirconstances et la conduite à bien de nos projets.

Le jour où je vous aurai livré Gipsy, le jouroù Rocambole montera sur l’échafaud, ce jour-là, j’irai vous tendrela main, et vous laisserez tomber dedans telle aumône ou tellerécompense que vous jugerez convenable.

Sir James avait étudié le cœur humain ;il savait que les hommes obéissent encore plus à leurs passionsqu’à leurs intérêts et que le désir de se venger est la plus tenacede toutes les passions.

– Je vous crois, dit-il simplement.

Timoléon quitta le fauteuil sur lequel ilétait assis et reprit son chapeau.

– Milord, lui dit-il, est-ce une affaireconvenue, un pacte conclu ? Acceptez-vous messervices ?

– Oui, dit sir James, mais il me faut lapreuve de la complicité de Rocambole et de Vanda.

– Je vous l’apporterai.

– Quand ?

– Ce soir.

– À quelle heure ?

– À minuit.

– C’est bien. Vanda mourra.

– Et le plus tôt sera le mieux, ditTimoléon, car c’est un rude auxiliaire de cet adversaire terriblequ’on nomme Rocambole.

Timoléon fit un pas vers la porte.

Mais avant de poser la main sur le bouton dela serrure, il se retourna.

– Encore un mot, milord, dit-il.

– J’écoute.

– Si je n’ai craint au monde qu’un homme,quand j’avais un trésor à perdre, ma fille, un homme qui a triomphéde moi, Rocambole, – aujourd’hui cet homme n’a plus qu’un autrehomme à redouter, – c’est moi.

– Eh bien ?

– Si mon nom vous échappait avant quenous nous soyions revus, tout serait perdu !

– Votre nom ? dit sir James, je l’aidéjà oublié.

– J’aime mieux cela, dit Timoléon.

Et il s’en alla.

**

*

Vanda n’avait vu entrer ni sortirTimoléon.

D’ailleurs, s’il était un homme à qui elle eûtpu penser, ce n’était pas à coup sûr sur celui-là.

Sir James Nively, après le départ de cetauxiliaire que lui envoyait le hasard, sonna son valet de chambreet lui dit :

– Prévenez madame que je suis légèrementindisposé, que je ne descendrai pas pour le dîner, mais que jeprendrai avec elle une tasse de thé vers neuf heures.

Et sir James, qui se défiait de lui-même,passa la journée dans sa chambre.

Il avait besoin de se calmer pour se retrouverface à face avec elle.

Vanda, de son côté, accueillit sans étonnementles paroles du valet de chambre.

Elle était trop préoccupée des ordres que luiavait donnés Rocambole.

Ce dernier lui avait dit : « SirJames Nively nous gêne. Il faut le supprimer. Quand il aura bu, tuplaceras une lampe auprès de la fenêtre, le reste meregarde. »

Vanda, qui ne soupçonnait point que sir Jamesne fût sur ses gardes, et bien qu’elle eût une confiance aveugledans les expédients et les ressources de Rocambole, Vanda,disons-nous, ne pouvait s’empêcher de mettre son esprit à latorture.

Comment Rocambole parviendrait-il, en pleinquartier des Champs-Élysées, à enlever sir James Nively et qu’enferait-il ?

Telle était la question qu’elle se posaitdepuis le matin sans pouvoir la résoudre.

Le soir vint, – elle dîna toute seule.

Puis, vers neuf heures, elle se retira dans sachambre, fit préparer le thé et attendit la visite de sirJames.

Sir James n’avait pas bougé de chez lui.

Un domestique entra et dit à Vanda :

– Monsieur fait demander à madame si ellevoit quelque inconvénient à ce que la cuisinière et moi noussortions ce soir ?

– Aucun, lui répondit Vanda.

Le cocher ne couchait pas à l’hôtel.

Vanda songea à congédier sa femme de chambreou à lui donner quelque course lointaine.

L’absence complète de domestiques dans l’hôtelallait évidemment servir les plans de Rocambole.

Quelques minutes après, sir James entra.

Le thé était prêt, et Vanda avait jeté dans lefond de la tasse destinée à sir James une pincée de cette poudreblanche que lui avait donnée Rocambole.

Sir James s’était bien fait des sermentsdepuis le matin.

Il s’était juré de tuer Vanda, si elle étaitcoupable et si elle avait allumé dans son cœur cet amour férocequ’il éprouvait pour elle, dans le but unique de servirRocambole.

Mais il s’était juré aussi d’être calme etd’attendre la preuve que Timoléon lui avait offerte.

Il baisa donc la main de Vanda comme decoutume et s’assit auprès d’elle.

– Voulez-vous une tasse de thé ?fit-elle.

– Oui, certes.

– Vous êtes souffrant ?

– J’ai un peu de migraine, comme vousdites, vous autres Français.

Et sir James, qui avait des tempêtes dans lecœur, versa dans la tasse que Vanda venait d’emplir la moitié d’unpetit flacon de rhum.

En même temps, il la regardait.

Jamais Vanda ne lui avait paru plus belle,jamais elle ne s’était montrée à lui dans une toilette d’intérieurplus provocante.

Sir James oublia ses serments.

Et avant de tremper ses lèvres dans lebreuvage préparé, il dit tout à coup :

– Comment va Rocambole ?

Ce fut un coup de théâtre. Vanda, malgré sonsang-froid et sa présence d’esprit ordinaires, jeta un cri et setroubla…

Sir James n’avait plus besoin de la preuveofferte par Timoléon.

Il avait lu la culpabilité de Vanda dans sonregard effaré.

Et tirant un poignard de son sein, il s’élançavers elle en disant :

– Misérable, tu m’as trahi… et tu vasmourir…

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