Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 14

 

Marmouset avait reconquis cette autorité dontil jouissait au départ de Londres, de par la volonté deRocambole.

Milon, le fruitier, la Mort-des-braves et labelle Marton, qui le voyait pour la première fois, s’étaientfranchement mis sous ses ordres.

En un tour de main, sir James Nively réduit àl’impuissance fut garrotté et reporté dans la cave ; mais, aulieu de le rejeter dans le puits et de l’y laisser seul, on lecoucha sur une planche à bouteilles, et la Mort-des-braves, armé dumerlin, demeura auprès de lui.

Quand ce fut fait, Marmouset dit aufruitier.

– Rappelle-toi que tu nous réponds deGipsy.

– Sois tranquille, dit le fruitier.

– En route ! dit Marmouset qui fitsigne à la belle Marton et à Milon.

La belle Marton avait passé, en guise delaisse, un mouchoir au cou de son chien, car l’animal voulaitabsolument s’élancer dehors et elle avait toutes les peines dumonde à le retenir.

– Mais tu vas emporter tes pistolets,j’imagine, dit Milon à Marmouset.

– Ça fait du bruit, répondit le gamin,mais enfin, on ne sait pas…

Et il glissa un revolver dans la poche de sonpantalon.

Mais avec le revolver il prit un poignard,ajoutant :

– Voilà qui vaut mieux.

– J’ai envie d’aller changer le mien pourle merlin qu’a la Mort-des-braves, dit Milon.

– Non, c’est inutile, il ne faut pasperdre de temps. Partons…

– Mais où allons-nous ?

– À la recherche de Timoléon, fitMarmouset.

– Ne vaudrait-il pas mieux se mettre à larecherche du maître ? dit Milon.

– Non.

– Pourquoi ?

– De deux choses l’une, dit Marmouset. Oule maître ne court aucun danger, et il vaut mieux mettre la mainsur Timoléon que de le gêner, lui, dans ses plans : – ou lemaître est menacé réellement de ce péril que tu redoutes, et alorsTimoléon est l’auteur de ce péril.

– C’est juste, fit Milon.

– Par conséquent, en nous emparant deTimoléon nous sauvons Rocambole.

– Tu parles d’or, mon enfant. Enroute !

La belle Marton était déjà sur le seuil de laporte extérieure de la maison.

– Faut-il lâcher le chien ?demanda-t-elle.

– Sans doute, répondit Marmouset, maispourrons-nous le suivre ?

– Quand il ira trop vite, je lerappellerai, répondit-elle.

Alors commença au cœur de Paris, une de ceschasses étranges, merveilleuses, qu’on eût dite empruntée à quelquerécit de trappeur ou de pionnier du Nouveau-Monde.

On sait comment les gardes-chasse et lespiqueurs pratiquent, en forêt, la nuit, cette opération qu’onappelle faire le bois.

Quelquefois le piqueur est seul, quelquefoisaussi un valet de chiens l’accompagne.

La nuit est silencieuse, ni lumineuse, ni trèsobscure ; le vent est tombé. La grande forêt dort avec seshôtes divers, l’oiseau sur la branche, la tête sous l’aile, lechevreuil dans sa reposée.

À dix pas des deux chasseurs nocturnes, unchien, un limier, marche non moins silencieux, traînant un cordeaudont un des gardes tient l’extrémité.

Le limier quête sagement, s’arrête parfois,étouffe un coup de voix et continue.

S’il s’est arrêté longtemps, s’il a le nezbien collé à l’empreinte découverte, piquet de chevreuil ou piquetde sanglier, les piqueurs s’approchent, rompent une branche d’arbreet marquent la brisée.

Puis le limier continue sa recherche.

La chasse que Milon, Marmouset et la belleMarton venaient d’entreprendre ressemblait à celle-là.

Le caniche marchait en avant, tantôt au pas,le nez à terre, tantôt la tête au vent et au petit galop.

Un coup de voix qui lui échappait de temps àautre apprenait aux trois chasseurs qu’il était toujours sur lavoie.

Timoléon s’en était allé à pied jusqu’auboulevard ; mais dans le faubourg Saint-Martin, il avait prisune voiture.

Là il y eut, comme on dit, un défaut.

Le caniche arrivé sur le trottoir de gauche,bondit en avant, s’arrêta, revint en arrière, s’arrêta encore,jappa avec inquiétude.

– Cherche, Phanor ! cherche !disait la belle Marton.

Et elle faisait sentir au chien la houppelandede Timoléon, dont elle avait fait un paquet.

Il était minuit passé et les passantscommençaient à être rares dans le faubourg.

Néanmoins quelques-uns s’attroupèrent et l’und’eux demanda de quoi il était question.

– Nous faisons la chasse aux rats,répondit Milon.

Les passants continuèrent leur chemin.

Phanor était descendu dans le ruisseau etflairait les pavés comme il avait flairé le trottoir.

Évidemment, c’était là que Timoléon avaitcessé de toucher le sol, et par conséquent d’y laisser un fumetidentique à celui qui s’exhalait de la houppelande.

Milon et Marmouset le regardaient aller, veniret revenir au même point, avec une inquiétude croissante.

Avaient-ils donc trop présumé del’intelligence du chien ?

Marton seule ne donnait aucune marqued’anxiété et disait :

– Il a été chien de recors, il finirabien par trouver.

En effet, le caniche fit entendre tout à coupun long aboiement, s’éloigna du trottoir, et se mit à suivre unetrace mystérieuse.

Un réverbère projetait sa clarté jusque sur lemilieu de la chaussée.

Marmouset suivit le chien et dit tout àcoup :

– Bon ! il a compris, et moiaussi.

– Timoléon est monté en voiture. Venezvoir…

Et il revint vers cet endroit du trottoir oùle chien avait hésité si longtemps, et il montra à Milon les rouesimprimées dans le ruisseau, en même temps que les pieds ducheval.

– Eh bien ? fit encore Milon.

– Eh bien ! le chien va suivre lavoiture, comme il aurait suivi l’homme.

– Mais c’est impossible !

– Pourquoi ?

– Parce qu’il a passé deux cents voiturespeut-être l’une après l’autre, dans la rue.

– Bah ! fit Marmouset, quiparaissait sûr de son fait, un bon chien ne fait jamais change.L’animal chassé peut bien passer au milieu d’un troupeau d’animauxsemblables, les chiens ne s’y trompent pas.

En route !

Le chien, par ses allures, semblait donnerraison à l’opinion de Marmouset.

Il s’en allait droit son chemin, le nez auvent, la démarche égale, remontant le faubourg Saint-Martin endroite ligne.

– Oui, oui, dit Marton, nous pouvons lesuivre ; il est sur les traces de Timoléon.

– Suivons-le donc, s’écria Milon ;car il faut sauver Rocambole !

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer