Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 33

 

Il fait nuit, le vent continue à souffler dularge, les navires du bassin s’entrechoquent avec les petitesembarcations, et les quais du port sont déserts.

Cependant, à bord du navire qu’on appelle lebrick indien, deux hommes causent tout bas, couchés l’un à côté del’autre, auprès du gouvernail.

Ces deux hommes sont Noël et Milon.

Tous deux pourraient entrer impunément dans laboutique du fruitier, rue du Vert-Bois.

On ne les reconnaîtrait pas.

Milon est devenu un mulâtre de la plus bellevenue.

Le teint olivâtre sied à merveille à sesgrosses lèvres, à ses cheveux crêpés, à ses larges épaulesd’hercule forain.

Noël est devenu un véritable Anglo-Indien, dela race rouge.

Ali-Remjeh s’y était trompé.

Comment tous ces miracles se sont-ilsaccomplis, comment Noël est-il devenu le second du navireindien ?

C’est ce que Milon lui demande, et ce qu’ilest en train de lui expliquer.

– Écoute bien, vieux, dit Noël.

– J’écoute, répond Milon. Le maître ettoi, vous êtes partis pour l’Angleterre, voici trois semaines.

– Le surlendemain du jour où le maîtrel’a échappé belle dans les Carrières de Pantin…

– Et où il a été sauvé parMarmouset ?

– Justement.

– Mais qu’est-il allé faire àLondres ?

– Il est allé voir le lord-chef del’amirauté, quelque chose comme qui dirait le ministre de lamarine.

– Bon ! fit Milon. Ehbien ?

– Alors il a dit au lord : Vous avezoffert une prime à celui qui vous livrera Ali-Remjeh, le chefsuprême des Étrangleurs de Londres ? – Oui, lui a répondu lelord. – Donnez-la-moi, a dit le maître.

– Mais… fit Milon stupéfait.

– Attends… Le maître a dit encore au lordune foule de choses relatives aux Étrangleurs et il paraît qu’on aeu une grande confiance en lui, puisqu’on lui a donné pleinspouvoirs, qu’on a mis à sa disposition des hommes et de l’argent,et que nous sommes venus tout droit de Brighton ici.

– Tout cela ne me dit pas…

– Mais écoute donc. Jusqu’à présent, tune peux pas comprendre… on a donné au maître, pendant qu’il était àLondres, une foule de renseignements. Ainsi, par exemple, qu’unnavire sous pavillon anglais, mais avec un équipage indien,viendrait relâcher au Havre, sous le commandement d’un capitaine ensecond, avec mission de prendre à son bord, à destination deNew-York, un capitaine en premier.

– Et ce capitaine, c’est le moricaud quiest arrivé avant-hier matin ? demanda Milon.

– Justement. Seulement, comme tu vois, ila de la compagnie et il voyage en famille.

– Mais, reprit Milon, ça ne me dit pascomment tu as pris la place du second, et nous autres, les gens deRocambole, celle de l’équipage.

– C’est encore bien simple, dit Noël.

– Comment cela ?

– Tu te souviens de Gurhi ?

– Oui.

– Et de sir George Stowe ?

– Parfaitement.

– Gurhi avait initié le maître à unegrande partie des secrets des Étrangleurs.

– Bon !

– Sir George Stowe, avait complétél’œuvre. Or, sir George Stowe dépossédé de son pouvoir à Londres, ajuré une haine mortelle à Ali-Remjeh et à sir James Nively.

– Je sais cela.

– Il s’est fait l’esclave de Rocambole etle servira jusqu’à la mort. Or, il faut te dire que sir GeorgesStowe, dépouillé par sir James de son autorité est néanmoinsdemeuré le chef apparent des Étrangleurs de Londres. Il a lessignes et les amulettes qui indiquent le commandement.

Quand nous sommes arrivés à Londres, le Maîtrea envoyé une dépêche à sir George Stowe.

Sir George Stowe est arrivé le soir même.

Alors il s’est rendu à bord du brick indien ets’est fait reconnaître.

Le second l’a reçu avec de grandes marques derespect.

– Ah ! s’interrompît Noël,j’oubliais de te dire une chose.

– Laquelle ?

– C’est que Ali-Remjeh qui a quittél’Inde depuis plusieurs mois, avait écrit à sir George Stowe pourlui donner des ordres. Sir George Stowe remplacé par sir James,c’est à ce dernier que les ordres arrivés à Londres ont étéexpédiés.

Or, comme sir James était dans nos mains,c’est par conséquent à Rocambole que les ordres sont parvenus.

– Bon ! fit Milon, je commence àcomprendre.

– Sir George Stowe, poursuivit Noël,après avoir causé avec le second, a été convaincu qu’il n’avaitjamais vu Ali-Remjeh, et qu’il ne connaissait à Calcutta, d’oùvenait le navire, que des Étrangleurs subalternes.

Alors il lui a été donné l’ordre de sortir àla nuit tombante, dans la chaloupe du brick, et il a pris lecommandement de l’embarcation.

La mer était déjà mauvaise, mais on pouvaitencore naviguer.

La chaloupe avait à bord le second et huithommes d’équipage. Les quatre autres étaient demeurés à bord dubrick dans le bassin.

Sir George Stowe étant muni des pleinspouvoirs de Ali-Remjeh le chef suprême, le second n’avait plus qu’àobéir.

La destination était inconnue.

La chaloupe a doublé la pointe deSainte-Adresse et pris la route de Fécamp.

Le vent fraîchissait, la mer était houleuse,mais la chaloupe avançait toujours. Sur l’ordre de sir GeorgeStowe, le second avait fait mettre la barre au vent et le cap surun gros brick marchand qui avait cargué toutes ses voiles.

Ce navire qui portait pavillon anglais a mis,en voyant la chaloupe, une embarcation à la mer.

Les chaloupes ont accosté.

Celle du brick était pleine de matelotsanglais qui se sont jetés sur les Indiens, les ont garrottés, ainsique le second et les ont hissés à bord ensuite.

Sir George Stowe est resté dans la chaloupeavec deux matelots du navire anglais, l’un d’eux était laMort-des-braves, qui est devenu bon rameur, à Toulon, l’autre…

– C’était toi ? fit Milon.

– Justement. Nous sommes rentrés auHavre, tandis que le brick anglais qui avait été envoyé, sur lademande de Rocambole par l’amirauté anglaise, emmenait le second etles huit hommes d’équipage du navire indien.

Au Havre, j’ai recruté mon équipage. Noussommes rentrés de nuit à bord du brick ; les quatre hommes quirestaient de l’ancien équipage ont été mis aux fers et jetés à fondde cale.

Et voici comment, acheva Noël, Ali-Remjeh, quicroit être chez lui, se trouve chez nous.

– Enfin, quand partons-nous ?

– Demain.

– Et Rocambole vient avec nous ?

– C’est le pilote qui est venu ce matin àbord ?

– Il n’y a que le maître pour semétamorphoser ainsi, murmura Milon. Je ne l’ai pas reconnu.

– Chut ! fit Noël.

Et il poussa du doigt Milon qui tourna latête.

Une forme noire venait d’apparaître àl’ouverture du grand panneau.

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