Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 8

 

Rocambole suivit donc Jacquot et arriva audeuxième étage du château.

La chambre que l’intendant Bob avait occupéedurant six ans était une sorte de capharnaüm dans lequel personnene pénétrait d’ordinaire et où régnait un désordreindescriptible.

Mais les indications qu’il avait données àRocambole étaient trop précises pour que celui-ci s’amusât àfouiller les meubles et les placards.

Il alla droit à la cheminée et se baissa pourexaminer la plaque de marbre.

À première vue, elle était parfaitementscellée et encastrée dans le parquet.

Néanmoins, après un minutieux examen,Rocambole trouva une fente dans l’un des angles, assez large pourlaisser passer une lame de couteau.

Jacquot se tenait derrière Rocambole, immobileet se demandant ce que celui-ci allait faire.

Mais Rocambole commença par se tourner verslui et le fixer avec ce regard d’autorité sous le poids duquel toutle monde se courbait.

– Comment te nomme-t-on ?dit-il.

– Jacquot, pour vous servir,monsieur.

– Es-tu de ce pays-ci ?

– Oh ! non, monsieur, je suis deCompiègne.

– Depuis combien de temps sers-tu danscette maison ?

– Environ deux ans, monsieur.

– Tu vas te trouver sans place…

– Oh ! monsieur, fit Jacquot d’unton pleureur, c’est-y Dieu possible, ce que vousdites-là ?…

– C’est la vérité, dit froidementRocambole. Bob va mourir, et milady ne reviendra jamais auchâteau.

– Vous croyez, monsieur ?

– J’en suis sûr.

– Qu’est-ce que vous me dites donc là,monsieur ? Je serais donc sans place ?

– Non, dit Rocambole, car j’ai besoind’un domestique et je te prends à mon service.

Jacquot fit un bond de joie.

– Je t’emmènerai à Paris, poursuivitRocambole.

– Ah ! monsieur…

– Mais à une condition.

– Oh ! tout ce que vous voudrez…D’ailleurs, je sais bien mon service.

– Ce n’est pas pour cela que je teprends.

– Pourquoi donc ? demandaJacquot.

– Pour que, si nous rencontrons milady,tu me la désignes du doigt et me dises : c’est elle.

– C’est bien facile, dit naïvementJacquot.

– Maintenant, as-tu un couteau ?

Le petit groom tira de sa poche un fort beleustache à manche de corne et le tendit à Rocambole.

Celui-ci le prit et ajouta :

– A-t-on prévenu la justice ?

– Pour dire la vérité vraie, monsieur,personne n’y a encore songé.

– Eh bien ! descends aux cuisines etdis que le médecin craindrait que son malade ne mourût, si onallait chercher les gendarmes et le juge de paix trop vite.

– Oh ! monsieur, répondit Jacquot,il n’y a pas de danger qu’ils arrivent sitôt que ça : lechef-lieu de canton est à trois lieues d’ici et la commune la plusproche à deux lieues.

– N’importe, va toujours…

Jacquot s’en alla, laissant Rocambole seuldans la chambre de Bob.

Alors Rocambole s’agenouilla devant la plaquede marbre, ouvrit le couteau et en introduisit la pointe dans lafente qu’il avait remarquée.

Puis il exerça une pesée, maisinutilement.

Il pensa alors que la fente devait cacher unressort, et il se mit à promener la pointe du couteau dans toute salongueur.

En effet, il rencontra peu à peu un obstacle,quelque chose comme une vis creuse, et il appuya fortement.

Soudain la plaque de marbre bascula ets’ouvrit absolument comme le couvercle d’une boîte à surprise.

Alors Rocambole vit une petite cachette d’unpied de profondeur et dans cette cachette une boîte en fer dont ils’empara.

À son peu de pesanteur, il comprit qu’elle nerenfermait guère que le manuscrit dont lui avait parlé Bob.

Elle était fermée, et il paraissait difficiled’en forcer la serrure.

Rocambole ne perdit point de temps.

Il mit la boîte en fer dans la poche de sonvaste paletot d’hiver, referma la plaque de marbre dont le ressortjoua de nouveau, et redescendit au premier étage.

Bob agonisait.

Cependant, en voyant rentrer Rocambole, il eutun éclair de raison et le délire l’abandonna un moment.

Rocambole lui montra la boîte.

Un rayon de joie brilla dans l’œil dumourant.

Puis, il eut la force de porter la main à soncou. Après quoi il retomba sur son oreiller, poussa un profondsoupir et mourut.

Mais Rocambole avait compris.

Bob portait au cou un petit cordon de soieauquel était suspendue une clé.

C’était la clé de la boîte de fer, etRocambole la détacha. Puis il abaissa la paupière du mort etsonna.

Les domestiques arrivèrent et un regard jetésur le lit leur fit comprendre que l’éternité venait de s’ouvrirpour le vieil intendant.

**

*

Rocambole avait un passe-port parfaitement enrègle, au nom du major Avatar.

Au lieu de quitter le château, immédiatementaprès la mort de Bob, il attendit, au contraire, l’arrivée de lajustice, qui, vers le soir, se transporta au château.

Sa déposition fut d’une netteté parfaite.

Il était descendu à la station voisine poursatisfaire sa curiosité d’archéologue, car on lui avait signalé lemanoir de Rochebrune comme un spécimen assez pur de l’architectureféodale.

Il s’était donc dirigé vers Rochebrune, et ilavait trouvé à la porte un rassemblement de passants et dedomestiques en grand émoi.

Comme il était un peu médecin, il avait crudevoir donner des soins au malade.

Malheureusement, la blessure était mortelle etla science impuissante.

Le major Avatar fut complimenté par le juge depaix qui se livra à une enquête.

Procès-verbal fut dressé de la fuite demilady, sur laquelle planaient les suppositions les plus graves,car Bob n’avait fait aucune révélation avant de mourir.

Enfin, on apposa les scellés sur toutes leschambres du château, et on déclara au major Avatar qu’il étaitlibre de se retirer.

Rocambole quitta donc le château, vers huitheures du soir, en compagnie de Jacquot.

Le train de Paris passait à dix heures.

Jacquot fut installé dans un wagonordinaire.

Rocambole prit un coupé pour lui seul.

Alors seulement, quand la locomotive eutrepris sa course bruyante, Rocambole ouvrit la boîte de fer.

La boîte renfermait un petit cahier jauni,couvert d’une écriture serrée, mais très lisible.

Il était écrit en anglais.

Sous le cahier, il y avait un médaillon.

Ce médaillon renfermait un portrait de femme,ou plutôt de jeune fille, d’une incomparable beauté.

Dans un angle, on avait écrit en caractèresmicroscopiques :

Miss Ellen Perkins, à seize ans.

 

Rocambole examina longtemps cette miniature,puis il déplia le cahier et lut :

HISTOIRE D’UNE PARRICIDE

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer