Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 5

 

Le nouveau venu auquel la porte, en s’ouvrant,livra passage, était un homme d’environ soixante ans.

Sa mise décente et modeste annonçait unemployé. Il portait sous le bras un portefeuille et un petitcoffre.

– M. Lucien de Haas ? dit-il,en regardant les deux jeunes gens.

– C’est moi, répondit Lucien.

– Monsieur, reprit le vieillard, je suisl’un des caissiers de la maison Davis-Humphry et C°.

– Oh ! fit Lucien un peu étonné, caril avait touché, il n’y avait pas huit jours, le trimestre de sapension.

– Je suis chargé de vous remettre centmille francs et ce coffret, dit le caissier.

Et il posa le coffre et le portefeuille sur unguéridon.

Le coffre était recouvert d’une gaine dechagrin.

Dans le portefeuille se trouvait une lettrecachetée, que Lucien s’empressa d’ouvrir.

La lettre renfermait la clé du coffre.

En outre, il s’y trouvait une demi-feuille dece papier de fabrique anglaise qui exhale un parfum pénétrant. Elleétait couverte de trois lignes d’une écriture fine, allongée,trahissant une main de femme.

« Mon fils,

« Offrez de ma part, avec mes souhaitsardents pour votre bonheur, cette parure à votre fiancée.

« Votre mère. »

C’était tout.

Lucien passa la main sur son front.

– Et pas de nom ! murmura-t-il.

Puis en soupirant, il ouvrit le coffret, etson ami, M. Paul de Vergis, et lui, reculèrent éblouis, enapercevant une rivière de diamants d’une valeur telle qu’uneprincesse seule en pouvait rêver une semblable.

Cela valait un million au moins.

Mais Lucien continua à soupirer et une larmebrilla dans ses yeux.

– Ma mère vit donc encore, dit-il… elleexiste !… et elle se dérobe à ma tendresse !… ô monDieu ! qu’ai-je donc fait pour mériter un pareilsort ?

Puis, il eut un moment d’exaltation et saisitla main du caissier qui faisait mine de se retirerdiscrètement.

– Monsieur, lui dit-il, un mot, je vousprie.

Le caissier s’arrêta étonné.

– Vous pouvez parler devant monsieur,continua Lucien. C’est mon ami, et je n’ai pas de secrets pourlui.

– Mais, monsieur, balbutia le caissier,que voulez-vous que je vous dise ?

– Depuis combien de temps êtes-vous dansla maison de banque Davis ?

– Depuis quarante ans, monsieur.

– Ah ! murmura Lucien avec un soupirde soulagement, alors vous savez tout.

– Mais quoi donc, monsieur ?

– Vous me direz tout ! continuaLucien avec exaltation.

– Encore une fois, monsieur, dit lecaissier, je ne vous comprends pas.

– Écoutez. Vous allez me comprendre. Tousles trois mois, vous avez à mon crédit une somme importante.

– Oui, monsieur.

– D’où vient cette somme ?

– Elle est versée à notre succursale deLondres.

– Par qui ?

– Je ne sais pas.

– Mais à Londres, on doit le savoir.

– J’en doute, dit le caissier.

– Vos patrons le savent à coup sûr…

– Monsieur, répondit le caissier, il estune seule chose que je puis vous dire, car elle me revientaujourd’hui en mémoire.

– Parlez, dit avidement Lucien.

– J’étais, il y a vingt ans, employé dansla maison de Londres.

Un homme que je reconnaîtrais, j’en suis sûr,si jamais je le retrouvais, se présenta et versa une sommeconsidérable dont il fit deux parts.

L’une était destinée à un enfant du nom deLucien qu’on élevait en France, l’autre devait être touchée àLondres même par un homme qui portait un nom indien,Ali-Remjeh.

En effet, celui-ci se présenta lelendemain.

L’année suivante le même personnage apportaune somme identique ; le même Indien se présenta lelendemain.

– Et l’année d’après, demanda Lucien dontla voix tremblait d’émotion.

– L’année d’après, je n’étais plus àLondres. Mes chefs m’avaient donné l’emploi que j’occupe dans lamaison de Paris.

– Et c’est là tout ce que voussavez ?

– Tout absolument. Je vous le jure.

Lucien demeura pensif et triste un moment.

– Monsieur, dit-il enfin, si je vousmontrais un jour l’homme que je soupçonne être celui qui venaitverser les fonds qui m’étaient destinés et que vous lereconnaissiez, hésiteriez-vous à me dire : « C’estlui ? »

– Je n’ai fait aucun serment qui me lie àce sujet, monsieur, répliqua le caissier.

– Ainsi je pourrais compter survous ?

– Sans doute.

– Ah ! murmura Lucien, si c’était lemajor Hoff, il faudrait bien qu’il me dise où est mamère !

Le caissier partit, non sans avoir laissé sonnom et l’adresse de son domicile particulier à Lucien.

Puis les deux jeunes gens causèrent quelquesminutes encore et se séparèrent en se donnant rendez-vous pour lesoir, au Club des Asperges .

**

*

Le rendez-vous était pour dix heures etdemie.

Mais Lucien n’arriva qu’à minuit.

La cause de ce retard était bien naturelle, dureste.

Il avait dîné et passé la soirée avec le vieuxBerthoud et sa fille, et les deux amoureux s’étaient oubliés àfaire des rêves de bonheur.

Lucien entra dans le fumoir.

Il était membre du  Club desAsperges depuis trois années.

On le savait riche, il était jeune etcharmant.

C’était plus qu’il n’en fallait pour qu’il eûtbeaucoup d’amis.

Cependant lorsqu’il entra, s’il eût été moinspréoccupé de son bonheur et en même temps du major Hoff, qu’ilchercha des yeux, il eût remarqué que son arrivée était accueillied’une façon singulière.

Son ami M. Paul de Vergis lui tendit lamain avec une certaine expression de tristesse.

Personne ne se dérangea pour lui.

Toute l’attention paraissait concentrée sur unmembre du club, le jeune marquis de Rouquerolles, qui péroraitbruyamment et tenait des discours étranges.

Un peu étonné, Lucien prêta l’oreille auxparoles de M. de Rouquerolles.

Celui-ci disait :

– Vraiment, messieurs, ces choses-làn’arrivent qu’à Paris. Un beau jour, un homme se produit dans lemonde. Ses mains ruissellent d’un or mystérieux, il s’est fabriquéun nom, n’en ayant jamais eu, il a l’aplomb des aventuriers et lesmanières aisées que donnent certaines fréquentations.

Il monte ses écuries, il fait courir, on lereçoit, on l’accueille et l’on devient son ami sans plus defaçons.

Lucien avait tressailli à ces dernièresparoles.

– Maintenant, mes bons amis, poursuivitle marquis de Rouquerolles, si un beau matin on vient vousdire : ce monsieur est un filou, ou un escroc… ou le filsd’une courtisane célèbre… l’or qu’il dépense est l’or de sa honte…que répondrez-vous ?

– Tu vas bien loin, Rouquerolles, dit unjeune homme.

– Tant pis ! répondit le marquisépris des charmes d’Aspasie, le rôle d’exécuteur est quelquefoistrès honorable.

Lucien était un peu pâle.

Cependant il demeura calme et dit avec douceuren regardant le marquis :

– Qui donc voulez-vous exécuter,Rouquerolles ?

– Un homme qui porte un nomd’emprunt.

– Il y en a beaucoup comme cela dans lemonde.

– Un homme qui ne saurait indiquer lasource de sa fortune.

Lucien eut un léger frémissement. Mais il secontint encore.

– Un homme enfin, acheva le marquis, queje suppose être le fils d’une courtisane, et s’il ne me prouve pasle contraire…

Lucien se leva à ces derniers mots. Mais il neprononça pas un mot et attendit.

Seulement, son attitude était effrayante, ettous ceux qui l’entouraient et avaient entendu les dernièresparoles de Rouquerolles, comprirent qu’un drame terrible allait sejouer.

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