Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 42

 

Milon ne se trompait pas.

Gipsy était morte.

Vanda lui prit la main.

Cette main était froide.

Mais le visage était si calme, si calme étaitl’attitude, que la mort avait dû être instantanée.

Auprès du lit était la table sur laquelle lajeune fille avait écrit la veille au soir.

Sur cette table, étaient une lettre àl’adresse de Vanda, une autre à l’adresse de Marmouset.

Auprès d’elle, une bague que Gipsy portaittoujours au doigt et qu’elle disait lui venir de ses parentsd’adoption, les bohémiens.

Cette bague avait un chaton, et ce chatonétait divisé.

Ce fut un trait de lumière pour Vanda.

La bague renfermait quelque poison foudroyantque Gipsy avait avalé.

Milon poussait de grands cris.

Vanda, pâle, muette, frissonnante, prit lalettre qui était à son adresse et l’ouvrit.

Cette lettre était ainsi conçue :

« Pardonnez-moi, madame, de ne pas m’êtreouverte à vous. Le courage m’a manqué.

« Je meurs de désespoir et d’amour.

« J’aime avec passion, avec délire, cejeune homme qu’hier encore vous appeliez mon fiancé.

« Et c’est parce que je l’aime que je neme sens point le courage de devenir sa femme.

« Gipsy la bohémienne pouvait accepter lepremier venu.

« La fille de miss Anna, l’héritière d’unnom appartenant à l’aristocratie anglaise, doit se donner pure àl’homme qui l’épousera.

« En me révélant mon véritable nom, onm’a révélé mon infamie.

« J’ai dansé dans les carrefours, j’aiété la maîtresse de sir Arthur Newil.

« Ce double souvenir m’obsède etm’accable, et pour lui échapper, je me réfugie dans la mort.

« Je laisse toute ma fortune à celui àqui j’ai depuis longtemps donné mon cœur.

« Je compte sur vous, madame, pouradoucir sa douleur, pour calmer son désespoir.

« Il est jeune, son cœur meurtri secicatrisera.

« Il est riche, il sera aimé.

« C’est le vœu de la pauvre morte, etquelque chose, au seuil de la tombe, me dit que ce vœu se réaliseraun jour.

« Adieu ! madame, une fois encore,pardonnez-moi… et priez Dieu qu’il me pardonne…

« GIPSY. »

Cette lettre échappa aux mains de Vanda.

Debout, sans voix, sans haleine, la compagnede Rocambole contemplait cette jeune fille endormie dans la mort,comme un enfant dans son berceau.

– Pauvre enfant ! murmura-t-elleenfin.

– Je savais bien qu’elle n’était pasguérie, moi, s’écria Milon avec une explosion de douleur.

– Peut-être… murmura Vanda.

Et tandis qu’ils étaient là tous deux, enprésence de ce cadavre, le galop d’un cheval se fit entendre.

Milon se précipita au dehors.

C’était Marmouset qui revenait.

Et comme Marmouset gravissait l’escalier, illui barra le passage en lui disant :

– N’entrez pas !

À de certaines heures, l’esprit humain estdoué d’une espèce de divination.

Marmouset s’écria :

– Ah ! Gipsy est morte !

Et il poussa Milon, passa outre et entra dansla chambre de Gipsy.

Vanda était agenouillée auprès de la jeunemorte.

Marmouset ne versa pas une larme et ne jetapas un cri.

Il est de ces désespoirs sans limites pourlesquels l’œil n’a pas une larme, la poitrine un gémissement.

Il prit cette lettre qui lui était destinée,et dont Vanda avait respecté le cachet.

Il l’ouvrit et la lut.

Gipsy lui faisait de tendres et déchirantsadieux ; Gipsy le suppliait d’accepter ses millions et defaire du bien en son nom ; Gipsy au seuil de l’éternité, luiparlait d’avenir et de bonheur…

Et quand il eut lu cette lettre, Marmousets’agenouilla lui aussi devant la morte.

Il prit sa main glacée et la porta à seslèvres.

Puis, se relevant, il sortit de la chambre etalla droit à la sienne.

Dans cette chambre, il y avait une paire depistolets accrochés au mur.

Marmouset en prit un et appuya froidement lecanon sur son front.

Mais comme il pressait la détente, une mainnerveuse lui poussa le bras et détourna le canon du pistolet.

Le coup partit, mais la balle, au lieu debriser le front de Marmouset, alla se loger dans le mur.

C’était Vanda, qui avait deviné son sinistreprojet et s’était élancée sur lui.

– Laissez-moi mourir ! s’écriaMarmouset, qui voulut s’emparer du second pistolet.

Mais Vanda le lui arracha des mains.

– Non, dit-elle, tu ne mourras pas, tun’as pas le droit de mourir, le Maître ne le veut pas !

À ces mots, le visage empourpré de Marmousetdevint d’une pâleur livide.

– Le Maître ! balbutia-il, leMaître !…

– Le Maître a laissé ceci pour toi,répondit Vanda.

En même temps, elle tendit à Marmouset un plicacheté sur lequel on avait écrit ces lignes :

Cette lettre renferme mes instructionspour Marmouset, pour le cas où je ne serais pas de retour à Parisdans un an.

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