Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 22

 

Revenons maintenant à ce pâle et beau jeunehomme à peine entrevu, qui ne savait rien de son originemystérieuse, un mois avant les événements que nous venons deraconter et qui s’appelait Lucien de Haas.

Lucien entrait en convalescence.

Son futur beau-père et sa fiancée, cette belleet touchante Marie Berthoud, également à peine entrevue, s’étaientinstallés à son chevet.

Enfin, un jour, le surlendemain de celui où ilavait tué le marquis de Rouquerolles et reçu lui-même un coupd’épée qui avait mis ses jours en danger, une femme s’étaitprésentée chez lui.

C’était milady.

On se rappelle que milady s’était évanouie auxTuileries, en entendant le major Avatar apprendre à la jeune filleque son fiancé s’était battu le matin.

Cet évanouissement avait trahi la mère.

Dès lors une vive affection avait uni milady àMarie Berthoud.

L’Anglaise, après avoir reçu l’autorisation desir James, au nom de Ali-Remjeh, de voir son fils, s’était jetéedans les bras de la jeune fille en lui disant :

– Mon fils est trop faible encore poursupporter une pareille reconnaissance. Il faut donc que vousm’emmeniez chez lui comme une parente.

Marie Berthoud avait consenti à cetteinnocente supercherie.

Mais la voix de la nature est si puissantequ’elle déjoue souvent les combinaisons des hommes.

À peine milady était-elle entrée dans lachambre de Lucien que celui-ci, se dressant sur son lit,s’écria :

– Vous êtes ma mère !

La joie aurait pu tuer Lucien, elle lesauva !

Trois semaines après, Lucien était sur pied,et son mariage était fixé à quinze jours de là.

Mais un nuage obscurcissait le bonheur dujeune homme et quelque peine qu’il prît pour dissimuler latristesse, elle devenait tous les jours plus apparente.

Lucien était triste, parce qu’il sentait quequelque mystère terrible pesait sur sa naissance et par conséquentsur son nom.

Milady lui avait dit :

– Lucien, je suis votre mère ; maisil m’est impossible de vous dire mon nom et par conséquent celui devotre père.

Lucien avait courbé la tête. Cependant, unjour, il fit cette question :

– Mon père est-il mort ?

– Non, dit milady.

– Il vit ? s’écria-t-il avec unmouvement de joie.

– Oui, répondit milady, mais je crainsbien que vous ne le connaissiez jamais.

Lucien avait pâli ; mais ni un murmure,ni une plainte ne lui étaient échappés.

Franz accompagnait souvent milady.

Le passé criminel de ces deux êtres les avaitliés l’un à l’autre.

Franz aimait milady avec une fureur jalouse,et milady avait fini par aimer le misérable.

Lucien surprit un jour un regard de Franz quin’était ni le regard d’un serviteur, ni celui d’un amant.

Quand il fut seul avec sa mère il luidit :

– Le major Hoff est mon père.

– Vous vous trompez, dit milady.

– Oh !

– Je vous le jure.

Lucien courba la tête ; et à partir de cejour, il ne questionna plus milady.

Il avait compris que Franz était dans lesbonnes grâces de sa mère et n’était point son père.

Sa mélancolie s’en augmenta.

Milady avait des heures de joie et des heuresde sombre tristesse.

Quelquefois on devinait qu’elle avait peurd’un avenir peut-être très prochain et qu’elle redoutait quelqueévénement terrible.

Lucien et Marie Berthoud, qui s’abandonnaientl’un à l’autre avec la candeur et la franchise de deux amis àjamais liés, s’étaient avoué tout cela.

Un jour surtout, milady avait paru plusinquiète et plus sombre que de coutume.

Quand elle s’en alla, elle annonça à son filsque peut-être elle ne pourrait revenir le lendemain.

Le lendemain, en effet, on ne la vit pas.

C’était le jour où sir James lui avait assignérendez-vous.

On sait qu’à la place de sir James, elle avaittrouvé Rocambole, qui lui avait dit :

– Revenez demain matin. Ordred’Ali-Remjeh.

Persuadée, en effet, que le major Avatar étaitle plénipotentiaire de son terrible amant, milady s’étaitreprésentée le lendemain à l’hôtel de la rue de Marignan.

On lui avait répondu que le major Avatar étaitsorti.

Elle était revenue le soir.

Ni le major, ni sir James n’avaientreparu.

Dès lors, milady avait attendu qu’on luiassignât un autre rendez-vous.

Mais ni le lendemain, ni les jours suivants,le major Avatar ne lui avait donné signe de vie.

Ce silence, au lieu de la rassurer avait, aucontraire, décuplé son inquiétude.

Cependant elle n’osait s’ouvrir à Franz.

Le major Avatar lui avait dit, on s’ensouvient :

– Toute confidence au major Hoff faitepar vous, pourrait devenir fatale à votre fils.

Elle n’osait pas davantage parler du majorAvatar à Lucien.

Et les jours s’écoulaient, et milady devenaitplus anxieuse à mesure que la santé de son fils se rétablissait etque le jour du mariage approchait.

Elle redoutait que Ali-Remjeh n’arrivât audernier moment.

Enfin, un soir, comme le vieux professeur, safille et milady étaient réunis dans la chambre de Lucien, onannonça le major Avatar.

Le major entra souriant, tendit la main àLucien et lui dit :

– Vous ayez dû me croire bien oublieux,mon cher ami. Mais, depuis que je vous ai vu, j’ai fait un voyage àLondres et j’en arrive.

– Vous êtes tout excusé, dit Lucien.

Le major et milady s’étaient salués avec unefroide réserve qui ne pouvait laisser supposer à Lucien qu’aucunerelation antérieure eût pu exister entre eux.

Rocambole passa deux heures chez Lucien.

Mais avant de se retirer, il trouve l’occasionde se pencher à l’oreille de milady et de lui dire :

– Je vous attends à la porte. Il faut queje vous parle ce soir même.

Milady fit un signe d’obéissance.

Le major Avatar se retira ; et ni MarieBerthoud, ni Lucien ne soupçonnèrent un moment que ce fût pourattendre milady dans la rue.

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