Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 11

 

La carrière répercuta le coup de pistolet avecun bruit tel que l’on eût dit qu’elle s’écroulait.

En même temps, la tête de Timoléon avaitdisparu de ce judas que le misérable venait d’improviser.

La détonation roula d’échos en échos pendantdix secondes, puis s’apaisa peu à peu et le silence se fit.

La lumière qui brillait de l’autre côté de laporte s’était éteinte.

Timoléon était-il mort ?

Rocambole l’espéra un moment, toutefois il nebougea pas.

Mais son espoir fut de courte durée.

Un éclat de rire moqueur retentit de l’autrecôté de la porte et exaspéra Rocambole, qui s’arma de son secondpistolet.

Timoléon, au moment où Rocambole faisait feu,s’était baissé rapidement et la balle avait passé au-dessus de satête.

– Tu tirais mieux que cela autrefois,disait le misérable. La main te tremble, à ta dernière heure,Rocambole !

– Ma dernière heure est loinencore ! répondit Rocambole.

Et il fit feu de nouveau.

Cette fois il entendit un cri de douleur,suivi de ce mot :

– Touché !

Rocambole se rua une fois encore contre laporte, et passant ses mains à travers le judas, il se mit à lasecouer avec fureur.

Mais la porte ne bougea pas, elle était d’unesolidité à toute épreuve.

– Touché ! touché ! répétaitTimoléon, mais je serai vengé ! Rocambole… ta dernière heureest venue.

– Nous serons vengés tous deux !disait une autre voix derrière Timoléon avec l’accent d’une hainesauvage.

– Pas encore ! répondait Rocambole,secouant toujours la porte sans résultat.

Vanda, immobile derrière lui, ne comprenaitpas encore comment Timoléon exécuterait sa vengeance, mais elleprévoyait quelque chose de sinistre et d’épouvantable.

– Rocambole, hurlait Timoléon, tu necomptais plus sur moi, n’est-ce pas ? tu ne croyais pas que jereviendrais jamais ?… Ah ! ah ! ah ! tu tetrompais !

Ma fille est morte ! pouvais-je tecraindre, désormais ?

Je t’ai suivi pas à pas, dans l’ombre,t’épiant jour par jour, détruisant patiemment ton œuvre.

Tu t’intéressais à Gipsy, tu voulais tedébarrasser de sir James ?

Eh bien ! j’ai délivré sir James et sirJames tuera Gipsy.

Je veux que tu saches tout cela, avant demourir… car tu vas mourir. Ah ! ah ! ah ! tu vasmourir !

Et Timoléon se tordait en blasphémant sur lesol du couloir souterrain : mais à la vigueur de sa voix, ondevinait que s’il était grièvement blessé, du moins sa blessure lelaisserait vivre quelque temps encore.

Rocambole s’empara de la boîte d’allumettesque tenait Vanda.

Et s’étant procuré de la lumière, il passa sonbras en dehors de la porte, de façon à éclairer le couloir.

Alors un spectacle étrange s’offrit à sesyeux.

Le couloir qui avait à peine trois pieds delarge renfermait deux hommes et un objet dont Rocambole n’entrevitd’abord la forme qu’imparfaitement, car il était à demi-masqué parles deux hommes.

L’un de ceux-ci cherchait à souleverl’autre.

C’était le Pâtissier.

L’autre, Timoléon, faisait de vains effortspour se remettre sur ses pieds et retombait sur le sol en poussantdes cris de rage.

La balle de Rocambole lui avait fracassé lacuisse.

– Ah ! disait Timoléon, écumant derage, tu n’en as pas moins perdu la partie, Rocambole !

En même temps, il se traîna pour démasquerl’objet que Rocambole n’avait fait qu’entrevoir.

C’était le baril.

Rocambole, à son tour, poussa un cri defureur.

Timoléon dit encore, s’adressant cette fois auPâtissier :

– Mets le feu à la mèche, charge-moi surtes épaules et allons-nous-en !

Rocambole devina alors ce que contenait lebaril.

Le Pâtissier exécuta l’ordre qu’il avaitreçu.

Il se procura du feu au moyen d’un briquet etralluma la mèche soufrée que tout à l’heure Timoléon avaitéteinte.

Rocambole, au contraire, avait laissé tomberson allumette, et maintenant si la lumière était dans le couloirsouterrain, l’obscurité régnait dans la carrière.

– Dépêchons-nous, ricanait Timoléon,s’adressant au Pâtissier. Dépêchons-nous ! Il ne faut pasfaire attendre Rocambole.

Et il grinçait des dents comme un damné queretournerait sur son brasier la fourche de Satan.

Le Pâtissier enleva alors la bonde du baril etintroduisit par cette ouverture l’autre extrémité de la mèche.

Cette mèche avait environ cinq pieds delongueur.

Elle pouvait brûler une demi-heureenviron.

Puis la mèche ainsi fixée, le Pâtissier endressa l’autre extrémité contre la paroi du souterrain.

– Maintenant, filons ! dit Timoléon,nous n’avons plus rien à faire ici.

Adieu, Rocambole !

Le Pâtissier reprit Timoléon dans ses bras etle chargea sur son épaule, répétant :

– Bonsoir, Rocambole ! Je te prometsque ton protégé Marmouset passera un mauvais quart d’heure.

Rocambole, sinistre et calme, serrait Vandadans ses bras.

Il vit le groupe s’éloigner, et il ne poussapas un cri.

La mèche brûlait lentement.

Au bout de quelques secondes, on entendit unnouveau cri de Timoléon, suivi d’un blasphème épouvantable.

Et Rocambole et Vanda écoutèrent.

– Lâche ! lâche ! criaitTimoléon qui était arrivé dans le puits.

– Je n’ai pas de corde et je ne peux pasvous monter, répondait le Pâtissier ; ce n’est pas de ma fautesi vous êtes trop lourd et si vous avez la cuisse cassée.

– Vas-tu donc me laisser ici ?criait Timoléon.

– Il le faut bien, répondait le Pâtissierdont la voix plus lointaine annonçait à Rocambole qu’il était horsdu puits. Il le faut bien, dans un quart d’heure la carrièresautera… bonsoir.

– Lâche ! hurlait Timoléon.

Alors Rocambole, qui collait toujours sonvisage au trou pratiqué dans la porte, vit reparaître Timoléon quise traînait sur le sol du couloir comme un reptile.

Il eut un moment d’espoir et crut quel’instinct de sa propre conservation dominerait la haine sauvagequi remplissait le cœur du misérable et qu’il arracherait la mèchedu baril.

Mais cet espoir fut de courte durée.

Timoléon se coucha auprès du baril et dit avecun accent de rage suprême :

– Eh bien ! nous mourronsensemble !

La mèche brûlait toujours et Rocambole,serrant Vanda sur sa poitrine, proféra ces mots :

– Il faut mourir !…

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer