Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 37

 

Ali-Remjeh, en s’élançant d’abord de sa cabinesur le pont, avait laissé milady bouleversée par les gémissementsconfus qui semblaient partir des entrailles du navire.

Jadis, il y avait vingt ans, l’enthousiastemiss Ellen eût haussé les épaules, si on lui avait dit quequelqu’un pouvait dominer et vaincre celui en qui elle avait unefoi ardente, son vaillant Ali-Remjeh.

Maintenant, elle avait perdu la foi.

L’Indien avait vieilli.

Il avait bien conservé son naturel farouche,ses colères tempétueuses ; mais, au travers de tout cela,milady avait surpris mille hésitations.

Et milady avait peur.

Cependant, elle ne quitta point la cabine toutde suite.

Elle attendit même près d’une heure, croyanttoujours que Ali-Remjeh allait revenir.

Mais l’Indien ne revenait pas.

Milady se décida à monter sur le pont.

La tempête se calmait peu à peu et, àl’horizon, les nuages tourmentés commençaient à se franger d’unevague clarté.

Le jour n’était pas loin.

L’équipage était toujours à la manœuvre.

Seul, le pilote avait abandonné son banc dequart.

Où était-il ?

Milady le chercha vainement des yeux, commeelle chercha Ali-Remjeh.

Ni l’un ni l’autre n’étaient sur le pont.

Milady pensa que Ali-Remjeh était redescendudans l’intérieur du navire par un autre panneau ; et elle pritle parti de le rejoindre dans sa cabine à lui.

Sa porte en était entr’ouverte. Un homme s’ytrouvait, tournant le dos. Il était assis devant une petite tablequi supportait le compas et les autres instruments ducapitaine.

Une lampe à abat-jour, placée sur cette table,ne projetait autour d’elle qu’une très faible clarté.

Milady crut que c’était Ali-Remjeh.

Elle entra et ferma la porte.

Alors, l’homme qui paraissait chercher lepoint et donner la route à suivre, tourna lentement la tête.

Milady recula tout effarée.

Cet homme, c’était le pilote.

Mais le pilote débarrassé de son chapeau ciré,de sa longue chevelure, de la couleur bistrée qui couvrait sonvisage.

Et, dans le pilote, milady reconnut sonterrible adversaire, le major Avatar.

– Je vous attendais, madame, lui ditfroidement Rocambole.

Et il lui avança un siège.

– Vous ! vous ! murmuraitmilady avec une épouvante croissante.

– Madame, dit Rocambole, veuillez vouscalmer et reprendre toute votre présence d’esprit, car je vous jureque vous en avez le plus grand besoin.

Et, comme elle continuait à attacher sur luiun œil hagard :

– Milady, poursuivit-il, je vous avaisavertie pourtant, à Paris, et vous n’avez tenu aucun compte de mesavertissements.

Ou plutôt, vous avez cru pouvoir m’échapper,vous et votre complice, l’Indien Ali-Remjeh, vous avez quittéprécipitamment Paris, en pleine nuit, emmenant votre fils, emmenantsa fiancée et le vieux père de sa fiancée.

Milady courbait la tête sous le regarddominateur de cet homme, mais elle n’avait point pris le siègequ’il lui avait avancé.

– Afin que vous compreniez, madame, lagravité de la situation, reprit Rocambole, laissez-moi vous dire enpeu de mots ce qui s’est passé.

Elle le regardait et, comme si elle eût suivison conseil, elle retrouvait peu à peu son sang-froid.

– Vous êtes ici, continua Rocambole, àbord d’un navire venu tout exprès des Indes, pour prendreAli-Remjeh et le conduire en Amérique.

Ce navire est entré dans le port du Havre avecun équipage dévoué.

Un homme est venu à bord, vous précédant devingt-quatre heures ; cet homme, c’était sir George Stowe,hier le fanatique serviteur d’Ali-Remjeh, son ennemi mortelaujourd’hui.

Mais les matelots indiens de qui il s’est faitreconnaître lui ont obéi.

Sur douze hommes d’équipage, huit sontdescendus dans la chaloupe, armée par les ordres de sir GeorgeStowe.

La chaloupe est sortie du bassin, elle a prisla mer et abordé un navire anglais qui courait des bordées devantSainte-Adresse.

Les huit hommes d’équipage, reconnus commeÉtrangleurs, sont aujourd’hui aux mains de l’amirauté.

Les quatre autres, ceux qu’on avait laissés àla garde du navire, ont été mis aux fers et jetés à fond decale.

Ne les entendiez-vous pas crier tout à l’heuredurant le gros temps ?

Maintenant, il est inutile de vous apprendrequ’il n’y a ici qu’un capitaine, moi, et un équipage quim’obéit.

Inutile encore de vous dire que le brick apris la route d’Angleterre.

– Ah ! fit milady frémissante.

– Et que je vais tenir ma promesse àl’amirauté en lui livrant Ali-Remjeh, le chef des Étrangleurs del’Inde, sir James Nively, son lieutenant, miss Ellen sa complicedans l’assassinat du commodore Perkins et de miss Anna, safille.

Milady était d’une pâleur de statue.

– Oh ! s’écria-t-elle tout à coup,vous vous vantez peut-être, monsieur, et vous ne savez pas quelhomme est Ali-Remjeh.

Un sourire glissa sur les lèvres deRocambole.

– Seul contre vous tous, poursuivitmilady s’exaltant par degrés, Ali-Remjeh vous tiendra tête, et jevous défie en son nom.

– Madame, dit Rocambole avec calme, vousvous trompez…

– Moi !

– À cette heure, Ali-Remjeh, mis auxfers, est couché à fond de cale avec ses compagnons.

Milady jeta un grand cri. Puis, tout à coup,regardant fixement Rocambole :

– Oh ! dit-elle, c’estimpossible ! Vous mentez !

Rocambole se leva, ouvrit la porte etdit :

– Major, venez donc affirmer à milady queje viens de lui dire la vérité !

Et, à ces mots, un homme entra.

Et Milady, éperdue, essaya de fuir.

Cet homme c’était Franz, qu’elle aussi elleavait cru mort.

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