Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 45

 

Philippette ouvrait des yeux avides.

Vanda ouvrit le portefeuille et fit luire toutà coup trois pièces d’or aux regards de la vieille femme.

Philippette étendit vivement la main.

Mais Vanda se rejeta lestement en arrière,hors de toute atteinte, en disant :

– Oh ! tout à l’heure !

Vanda était redevenue Vanda, c’est-à-dire lafemme pleine de patience, de sang-froid et de lucidité qui avaitcoutume de ne rien donner au hasard.

Elle avait lu dans les yeux de Philippette unetelle avidité qu’elle comprit qu’il serait dangereux de payer cettefemme d’avance.

– Écoutez-moi bien, dit-elle.

– Parlez, dit Philippette qui oubliait,en ce moment, les recommandations de Timoléon.

– Vous voyez que je ne suis pas unemendiante, mais que j’ai de l’or.

– Certainement, dit Philippette.

– Mon homme est riche à millions.

– Vrai de vrai ?

– Il vous donnera cinquante louis,aussitôt qu’il m’aura délivrée.

– Cinquante louis, dit Philippettesuffoquée.

– Deux cents même, ajouta Vanda.

Philippette ne songeait plus à Timoléon, uncuistre qui avait promis dix louis.

– Voyons, ma petite, dit-elle, où estvotre homme ? Car vous voulez sans doute que j’aille lechercher ?

– Oui.

– Où est-il ?

– Dans Paris, rue Saint-Lazare,n° 52.

– Comment s’appelle-t-il ?

– C’est un Russe, le major Avatar.

– Un drôle de nom ; si j’allais nepas me le rappeler ?

Vanda arracha un feuillet du carnet et dit àPhilippette :

– Reprenez votre tison etéclairez-moi.

Elle traça au crayon le nom d’Avatar et lesmots de rue Saint-Lazare, 52, sur la feuille déchirée.

Puis, au-dessous, elle écrivit enrusse :

« Suis cette femme. »

– Tenez ! dit-elle à Philippette enlui tendant le morceau de papier, allez vite !

– Mais…, observa Philippette, s’il n’yest pas ?

– Il y aura sans doute un domestique, ungrand et gros homme un peu vieux…

– Ah !

– Qui saura où il est et qui vousconduira.

– C’est bon, dit Philippette, j’yvais.

Puis, rejetant le tison et tendant de nouveaula main :

– Vous ne me donnez pas un de cesjaunets-là ?

– Non, dit Vanda.

– Pourquoi ?

– Parce que vous le dépenseriez en routechez tous les marchands de vin et que vous seriez ivre quand vousarriveriez chez mon homme.

– Ça, c’est possible ! dit naïvementPhilippette.

– Quand vous reviendrez, répondit Vanda,je vous donnerai tout ce que j’ai sur moi, en dehors de ce que vousdonnera mon homme.

– Ça va, dit Philippette qui prit sonparti.

Elle avait même, en parlant ainsi, un accentde franchise qui ne laissa pas le moindre doute à Vanda.

Puis elle s’empara du papier et ditencore :

– Je ne fais que les deux chemins.

– Quelle heure est-il, maintenant ?demanda Vanda.

– Approchant onze heures du soir.

Vanda respira.

On ne lui avait pas apporté à manger.

On ne viendrait sans doute pas maintenant.

Car si Timoléon, la Chivotte et le Pâtissiervenaient comme la veille, il était présumable que s’apercevant desa disparition, ils la chercheraient et finiraient par trouver leboyau souterrain dans lequel elle s’était réfugiée.

Et Philippette partie, Vanda se reprit àespérer et elle attendit.

**

*

Cependant, Philippette était hors de lacarrière.

Un moment grisée par la vue des pièces d’or etles mirifiques promesses de Vanda, elle ne se fut pas plutôtexposée au froid humide et vif de la nuit, que le sang-froid luirevint, en même temps que le souvenir de Timoléon.

Qu’allait-elle faire ?

Timoléon lui avait dit :

– Je t’attends demain matin, au point dujour, au coin des rues Saint-Martin et du Vert-Bois et tu auras dixlouis.

Vanda, de son côté, venait de luidire :

– Courez chez mon homme, rueSaint-Lazare, il y a deux cents louis pour vous.

C’était à ne pas hésiter, en présence d’unesemblable disproportion.

Cependant, Philippette hésita.

Timoléon représentait toujours à ses yeux lapolice.

La police toute puissante qui pouvait larenvoyer à Saint-Lazare et même confisquer les deux cents louisavant qu’elle eût le temps de les mettre à l’ombre, comme disentles voleurs.

Et Philippette, au bout d’une centaine de pas,s’arrêta tout net et prit sa tête à deux mains,murmurant :

– C’est joliment embarrassant, tout demême.

Mais, comme elle disait cela à mi-voix, uneombre noire s’agita auprès d’elle.

Philippette fit un pas en arrière.

L’ombre fit un pas en avant.

Puis une voix fit tressaillir lavieille :

– Hé ! Philippette ?

C’était la voix de Timoléon.

L’ombre noire s’approcha, éclairée par unpoint lumineux.

C’était bien Timoléon, et Timoléon quifumait.

Philippette eut peur.

– Ah ! dit-elle, vous avez donccraint que je mange le morceau ?

En argot, manger le morceau signifietrahir.

– Non, dit Timoléon, mais il m’est arrivéune chose sur laquelle je ne comptais pas et qui m’a permis desortir. Alors, je suis venu flâner par ici. Eh bien ! as-tuentendu crier ?

– J’ai entendu mieux que ça.

– Quoi donc ?

– La petite m’a parlé.

– Ah !

– Et je l’ai vue.

– C’est impossible. Tu n’as pas pu passerpar le trou.

– Non, mais elle est venue jusqu’autrou.

– Elle !

– Oui, il paraît que les rats ont rongéses cordes.

– Eh bien ? dit Timoléon qui fronçaun moment le sourcil.

– Elle m’a promis beaucoup d’argent si jela délivrais.

– Ah !

– Deux cents louis.

Timoléon changea subitement d’attitude.

– Ça va, dit-il, nous partagerons.

– Plaît-il ? réclama Philippetteétonnée.

– Je n’en avais que trente pour la faireenfermer. C’est vingt louis de bénéfice.

Philippette crut comprendre.

– Alors, dit-elle, il faut yaller ?

– Où ça ?

– Prévenir son homme, donc, rueSaint-Lazare, 52. J’ai un billet pour lui.

Et elle montrait le papier sur lequel Vandaavait tracé trois mots au crayon.

– Voyons ça ? dit Timoléon.

Il prit le papier et se fit une lanterne deson cigare qu’il aspira fortement, à un pouce au-dessus, après enavoir secoué la cendre.

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