Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 30

 

Revenons maintenant au major Hoff que nousavons laissé sur un lit du Grand Hôtel, privé de tout sentiment,entre un médecin qui prétendait qu’il avait cessé de vivre et lemajor Avatar qui affirmait le contraire.

Le major Avatar s’étant installé au chevet dumajor Hoff, demanda qu’on le laissât seul avec lui.

Tout le monde sortit.

Alors Rocambole prit un flacon de selsmagiques qu’il avait sur lui et le fit passer sous les narines dumajor.

Le réactif fut si violent que le prétendu mortfut agité d’une imperceptible convulsion.

Rocambole versa dans le creux de sa mainquelques grains de sel et se mit ensuite à les écraser avec lepouce sur le marbre de la cheminée ; puis quand il les eutréduits en poudre, il jeta cette poudre dans un verre, la délayaavec quelques gouttes d’eau et, entr’ouvrant de force la mâchoireserrée de Franz, il versa le tout dans sa bouche.

Ensuite il le prit à bras-le-corps et lesouleva à demi pour que cet étrange breuvage pût traverser legosier et arriver dans l’estomac.

Le major Hoff commença alors à s’agiter surson lit, par soubresauts imperceptibles d’abord ; puis lessoubresauts devinrent plus violents, et plusieurs soupirss’échappèrent de sa poitrine.

Rocambole alla fermer la porte au verrou.

Cependant le major Hoff ne s’éveilla point etne rouvrit point les yeux.

Mais les lèvres s’agitèrent et formèrent unson.

Ce son était un nom à peinearticulé :

– Milady.

Rocambole se prit à écouter.

Sans doute que l’âme du major Hoff étaitéveillée tout entière, si la léthargie étreignait encore son corps,et qu’elle jouissait même de cette lucidité étrange qu’on appellele somnambulisme, car au nom de milady succédèrent d’autres parolesque Rocambole recueillit attentivement.

– Milady, disait le major d’une voixentrecoupée et sans ouvrir les yeux, tu as beau me fuir… je terejoindrai ! Tu as quitté Paris… je le sais… je le sais… Maisla terre n’est pas si grande qu’on n’en puisse faire le tour.

Rocambole ne s’y trompa point. Franz était enproie à un accès de somnambulisme.

Alors Rocambole se souvint des résultatsétonnants obtenus jadis par Baccarat, devenue madame Charmet, surla petite juive, dont elle avait fait un sujet de luciditéextrême.

Et, prenant l’attitude d’un magnétiseur, il semit à charger de fluide le front du major endormi.

Franz s’agita sous les effluves mystérieux,comme un cheval rétif cherchant à résister à son cavalier.

Mais le fluide dominateur triompha et leréduisit à l’impuissance.

Rocambole lui posa une main sur le front etlui dit :

– Voyez !

Le magnétisé fit quelques mouvements brusqueset désordonnés, comme s’il eût eu de la peine à obéir ; maisil murmura :

– Je les vois !… je les vois tousdeux !

– Qui donc ? demanda Rocambole.

– Milady.

– Bon. Et puis ?

– Et Ali-Remjeh.

Rocambole tressaillit. Le magnétisécontinua :

– Ils ont quitté Paris.

– Quand ?

– Cette nuit.

– Où vont-ils ?

– Vers la mer.

– Voyez-vous un navire ? demandaRocambole.

– Oui.

– Comment est-il ?

– C’est un brick.

– Avec des voiles sang de bœuf ?

– Précisément… Ah !…Attendez !

Et le magnétisé sembla faire un effort suprêmepour voir à travers les espaces.

– Que voyez-vous encore ? demandaRocambole.

– Milady à bord du brick.

– Seule ?

– Non, avec Ali-Remjeh… et puis…

– Ah ! quelqu’un est aveceux ?

– Oui… un homme et une femme.

– Les reconnaissez-vous ?

Le magnétisé garda un moment le silence ;puis tout à coup :

– C’est Lucien… et sa fiancée… Je lesvois…

– Le navire est-il enmouvement ?

– Non, il est à l’ancre.

– Pourquoi ne part-il pas ?

– Parce que le mauvais temps règne en meret qu’aucun pilote ne veut sortir de la rade.

– C’est tout ce que je voulais savoir,murmura Rocambole.

Puis il passa de nouveau ses deux mains sur lefront du major :

– Éveillez-vous, dit-il.

Et soudain, le magnétisé poussa un nouveausoupir, puis il ouvrit les yeux et promena autour de lui le regardétonné de l’homme qui ne se souvient de rien.

Le major Avatar s’était assis de nouveau.

– Comment ! dit Franz qui lereconnut, c’est vous, major ?

– C’est moi.

– Comment êtes-vous ici, et pourquoi ysuis-je moi-même ?

– Mon cher, répondit Rocambole d’un tondégagé, tâchez de vous souvenir de ce qui s’est passé hier soir, etje compléterai vos souvenirs.

– Oh ! s’écria tout à coup le majorHoff, oui, j’y suis… un homme…

– Un homme vous a passé un lacet au couet vous a étranglé… soulevez-vous, regardez-vous dans la glace…bon ! voyez-vous cette marque bleuâtre à votre cou ?

– Le misérable, murmura Franz quipâlit.

– Cet homme, dit froidement Rocambole,c’est Ali-Remjeh, le chef des Étrangleurs, le père de Lucien et parconséquent le premier amant de milady.

Franz se dressa sur son lit tout effaré.

– Comment savez-vous cela ?s’écria-t-il.

– Attendez… Milady et Ali-Remjeh ontquitté Paris.

– Quand donc ? fit Franzrugissant.

Oh ! je les rejoindrai.

– Ce sera facile, puisque je sais où ilssont.

– Vous le savez ?… Maiscomment ?

– Vous venez de me le dire dans votresommeil. Excusez-moi de vous avoir magnétisé.

Et comme le major Hoff regardait Rocamboleavec un muet effroi :

– Mon cher, lui dit ce dernier, sans moi,on vous enterrait bel et bien, et un médecin qui sort d’ici avaitconstaté votre décès.

Franz ne put réprimer un léger frisson.

Rocambole ajouta :

– Je vous ai donc rendu un léger service.Mais ce n’est rien encore et il ne tient qu’à vous de me prendredans votre jeu contre le ravisseur de votre maîtresse, et votremaîtresse elle-même qui ne vous aime plus. Écoutez-moi…

Et Rocambole, qui s’était levé un moment,reprit place dans le fauteuil, au chevet du major Hoff.

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