Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 40

 

Timoléon s’aperçut de la stupéfaction et mêmede l’effroi que ses dernières paroles avaient produit sur lePâtissier.

– Ah ! dit-il, ne crois pas qu’ent’associant avec moi pour exterminer Rocambole, tu t’es embarquédans une simple partie de bézigue.

– Mais…

– Si tu as peur, il en est temps encore…Va-t-en ! ajouta Timoléon avec calme.

– Jamais ! dit le Pâtissier.

Timoléon s’était agenouillé devant sir Jameset le considérait attentivement.

– Oui, dit-il enfin, Antoinette Millerétait comme ça, quand elle est sortie de Saint-Lazare dans unebière.

– Antoinette ! fit le Pâtissierétonné.

– Oui, c’est une histoire qu’il seraittrop long de te raconter. Nous n’avons pas le temps aujourd’hui etil serait dangereux de moisir ici.

– Alors vous croyez qu’il n’est pasmort ?

– Non, dit Timoléon.

– Eh bien ! qu’allons-nous enfaire ?

– Voilà ce que je me demande, murmuraTimoléon comme se parlant à lui-même.

Mais il eut bientôt pris son parti.

– Je sais bien, dit-il, que le plus sage,en apparence, serait de le prendre sur nos épaules et de le porterhors de cette maison. Mais que dira le cocher de la voiture danslaquelle nous le mettrons ? et ne rencontrerons-nous pasquelque sergent de ville trop curieux…

D’un autre côté nous ne pouvons pas le laisserici…, et qui sait quand il reviendra à lui ?…

Bah ! quand on ne joue pas le tout pourle tout, on est perdu !…

Et après ces mots qui ne formulaient pas toutesa pensée, Timoléon prit de la même main le pic en fer et lerat-de-cave.

– Tiens-moi bien, dit-il, je retournefaire un tour dans le puits.

Il ne se soutenait à la corde que de sa maindroite.

Quand il fut en face de la meurtrière percéedans l’égout, il s’arrêta.

– Voyons, pensa-t-il, quand on joue avecRocambole, il faut écarter jusqu’à ce qu’on ait tous lesatouts.

Il est bien certain qu’on n’aurait pas laissél’Anglais dans ce puits-là sans prendre de temps en temps de sesnouvelles.

Donc on viendra, si ce n’est aujourd’hui, aumoins demain.

Donc, si on vient et qu’on ne le trouve plus,il faut qu’on sache ou que l’on croie savoir où il est passé.

Et avec le pic, il se mit à attaquer à basbruit une grosse pierre au-dessus de la meurtrière sur laquelle ilavait posé son rat-de-cave.

Comme il exerçait des pesées plutôt qu’il nefrappait, l’opération ne faisait pas de bruit.

Au bout de quelques minutes, la pierreoscilla.

Le pic, adroitement glissé entre elle et lapierre, pesa plus fort.

La pierre se détacha et tomba dansl’égout.

Timoléon entendit le clapotement de l’eau quis’ouvrait et se refermait sur elle.

Désormais la meurtrière était assez grandepour laisser passer le corps d’un homme.

Et Timoléon remonta en se disant :

– Quand Rocambole ou les siens viendront,ils penseront que l’Anglais s’est sauvé par l’égout.

Ce n’était pas le tout d’avoir crocheté lesportes, découvert le caveau, mis à nu la pierre de l’oubliette,retiré sir James du puits.

Il fallait encore mettre les choses dans lemême état, de façon à ce qu’on ne pût pas supposer que sir Jamesavait été sauvé par une autre issue que par la meurtrière donnantsur l’égout.

Timoléon se mit bravement à l’œuvre.

Il replaça la pierre sur le puits, et le picdans un coin du caveau.

Puis il repoussa le sable sur la pierre et lepiétina en tous sens, ayant bien soin de ne pas effacer deuxempreintes de botte qui se trouvaient auprès de la porte.

Quand tout cela fut fait, le Pâtissier et luiprirent sir James, l’un par les pieds, l’autre par les épaules, etils le transportèrent dans le premier caveau.

Alors, Timoléon referma la porte et retira safausse clé de la serrure.

Sir James fut ensuite transporté dans lecouloir souterrain, et la deuxième porte fut refermée comme lapremière.

Le rat-de-cave était près de sa fin.

– Voici le plus dangereux, ditTimoléon.

– Quoi donc ? demanda lePâtissier.

– Si nous essayons de monter sanslumière, nous allons nous cogner et nous ferons du bruit. Onaccourra et nous sommes perdus…

D’un autre côté, on peut voir notrelumière.

– Écoutez, dit le Pâtissier, je vaisprendre le mort, car il est mort, j’en suis bien sûr, et je leporterai sur mes épaules. Il est lourd, mais ça ne fait rien.

– Soit.

Et Timoléon monta l’escalier de la cave àreculons, tandis que le Pâtissier chargeait sir James sur son dos,comme il eût fait d’un colis.

Timoléon ne poussa la porte de la cave, quidonnait sur l’allée de la maison, qu’au dernier moment.

Puis il abrita le rat-de-cave dans ses mainspour en diminuer la clarté.

On entendait toujours, du reste, lesronflements sonores du fruitier.

Néanmoins, les trois minutes qui s’écoulèrent,tandis qu’il montait à reculons l’escalier, et que le Pâtissier,chargé de sir James, le suivait, parurent trois siècles àTimoléon.

Enfin, il toucha le seuil de son logis, et lePâtissier put entrer avec son fardeau.

– Jette-le sur mon lit, dit Timoléon.

Le logis du prétendu placeur se composait detrois pièces, une grande qui était la première et dans laquelle ilavait établi son bureau, le bureau de placement proprementdit.

Une petite cuisine ; et, au bout de lacuisine, une chambre à coucher qui était plutôt un grand cabinet etdont l’unique fenêtre donnait sur la cour.

C’était là que Timoléon avait dressé sonlit.

Ce fut sur ce lit que le Pâtissier déposa sirJames.

Timoléon se livra alors à un nouvel examen ducorps.

– Non, répéta-t-il avec conviction, iln’est pas mort.

– Alors, dit le Pâtissier, il faut lefaire revenir à lui.

– C’est inutile.

– Pourquoi ?

– Parce qu’il reviendra tout seul.

– Quand ?

– Dans vingt-quatre ou trente-six heures,dit Timoléon, qui cherchait à se rappeler combien d’heures avaitdormi Antoinette.

– Et d’ici là ?… fit lePâtissier.

– D’ici là nous avons autre chose àfaire.

– Ah !

– Il faut nous occuper de Rocambole.

L’œil du Pâtissier s’éclaira d’une lueurféroce.

Timoléon ouvrit alors l’habit de sir James quiétait boutonné, fouilla dans la poche et en retira un petitportefeuille.

Ce portefeuille contenait un millier d’écus enbillets de banque.

– Il est juste, dit-il, que l’Anglaispaye les frais de la guerre.

En même temps il tendit trois cents francs auPâtissier en lui disant :

– Tu vas t’en aller comme tu es venu.J’irai fermer la porte quand tu seras parti.

– Bon !

– Demain matin tu iras rue deBellefond.

– Après ?

– Tu t’adresseras au portier. En tevoyant, il saura que tu viens de ma part. Tu lui donneras cetargent et tu lui diras qu’il me faut un baril de poudre.

– Pourquoi faire ?

– Tu le sauras plus tard.

– Est-ce tout ?

– Non, tu iras chez une vieille femme quetu connais ou dois connaître, et qui demeure rue desFilles-Dieu.

– Comment l’appelez-vous ?

– Philippette.

– Je la connais.

– Tu me l’enverras… j’ai besoind’elle…

– Et quand reviendrai-je ?

– La nuit prochaine, à la même heure.

Et Timoléon jugea inutile de mettre lePâtissier plus avant dans ses confidences.

Le Pâtissier s’en alla et Timoléon demeuraseul auprès de sir James en léthargie.

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