Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 40

 

Le printemps est venu, les arbres sont enfleurs et les coteaux qui bordent la Seine ont revêtu leur parurede verdure.

Non loin de Sèvres, tout près de Bellevue, aubas Meudon, comme on dit, une villa blanche et coquette se cache àdemi dans une touffe de grands marronniers.

Le jardin est ombreux, les oiseaux seuls fonttapage dans cette solitude.

Pourtant cette maison n’est pointinhabitée.

Sous un berceau de lilas et de chèvrefeuilles,vous pouvez apercevoir une jeune fille assise, les yeux demi-clos,s’abandonnant à une rêverie pleine de douceur.

Cette jeune fille, les habitués de laTaverne du « Roi George » auraientpeine à la reconnaître.

C’est Gipsy !

Gipsy la bohémienne, Gipsy la danseuse duWapping, la mystérieuse maîtresse de sir Arthur Newil, lamalheureuse victime des Étrangleurs miraculeusement arrachée aubûcher.

Gipsy folle si longtemps, et qu’on désespéraitde rappeler jamais à la raison.

À quelques pas du berceau, assis sur un bancde verdure, deux autres personnes, un homme et une femme, causent àmi-voix.

La femme, on le devine, c’est Vanda, la fidèlegardienne de Gipsy, depuis le départ de Rocambole.

L’homme n’est autre que ce médecin aliénisteallemand à qui Rocambole a écrit et qui s’est décidé à quitterLondres pour venir à Paris soigner la riche héritière.

– Ainsi, docteur, murmure Vanda, vous lacroyez guérie ?

– Oh ! bien guérie, madame.

– Et vous pensez qu’on peut sans dangerfaire revenir le jeune homme qu’elle aime ?

– C’est le seul moyen, selon moi, dedissiper ce brouillard qui obscurcit encore légèrement sa mémoire,car la raison est revenue tout entière.

Vanda se leva, se dirigea vers la maison etappela :

– Milon ? Milon ?

Le colosse accourut.

– Il faut aller chercher Marmouset, luidit Vanda.

Milon tressaillit.

– Ah ! madame, dit-il, vous necraignez donc pas que Gipsy ne redevienne folle ?

– Le docteur prétend qu’il n’y a aucundanger.

– Vous vous souvenez pourtant del’émotion qu’elle a éprouvée, il y a huit jours, quand nous luiavons appris qu’elle était riche à douze millions…

– Eh bien ! dit Vanda, puisque cetteémotion ne l’a point tuée, l’autre achèvera de la guérir.Oublies-tu donc qu’elle demande sans cesse sonami ?

– Alors, il faut aller lechercher ?

– Oui.

– C’est bien, dit Milon, dans deuxheures, je serai de retour ici avec lui.

Et il traversa le jardin, franchit la grilleet gagna à pied la route de Sèvres à Versailles sur laquellepassent de nombreux omnibus de dix minutes en dix minutes.

Une heure après, Milon arrivait à Paris et serendait au petit hôtel de la rue Marignan.

C’était là que, par ordre du docteur allemand,Vanda avait confiné Marmouset depuis environ trois mois.

Mais Marmouset était bien changé et pas un desbandits qui se réunissaient jadis sous les ordres duPâtissier, au cabinet de l’Arlequin, tenu par laCamarde, ne l’aurait reconnu.

Le gamin de Paris, le ravageur à la blousedéchirée, aux cheveux en broussaille, à la mine flétrie etsouffreteuse à la fois, était devenu un jeune homme de dix-neuf ouvingt ans, mis avec une correcte élégance.

Vanda, à qui Rocambole avait laissé sesinstructions, avait voulu que Marmouset mît à profit les loisirsque lui laissait le traitement auquel le docteur allemand avaitsoumis Gipsy.

Marmouset continuait à s’instruire, ilfréquentait le manège et la salle d’armes.

Il avait fait en toutes choses, depuis troismois, des progrès si rapides qu’il était devenu méconnaissable.

Marmouset, lorsque Milon arriva, descendait decheval. Il revenait du Bois.

– Eh bien ! comment va-t-elle ?dit-il avec un empressement fiévreux, en voyant entrer Milon.

– Elle est guérie.

– Guérie !

Et Marmouset devint tout pâle d’émotion.

– Et je viens vous chercher, ajoutaMilon.

– Je puis donc la voir sansdanger ?

– Oui. C’est l’avis du docteur.

Marmouset n’en entendit pas davantage. Ilremonta lestement à cheval, oublia Milon et se lança au triplegalop dans l’avenue Marignan.

Les Champs-Élysées, le Bois, il traversa toutavec une rapidité vertigineuse ; on le vit passer sur le pontde Saint-Cloud, courbé sur sa selle comme un écuyer maure.

Il traversa le parc, monta la côte de Sèvresau galop, et moins de trois quarts d’heure après avoir quittél’avenue Marignan, il arrêtait court son cheval à la grille de lavilla.

Vanda l’attendait.

Elle le prit par la main et lui dit :

– Venez, mon enfant ; venezvite…

Et elle le conduisit vers le berceau souslequel Gipsy était assise.

Le docteur se tenait à quelques pas dedistance.

En entendant marcher, Gipsy leva la tête.

Elle vit Marmouset, et tout son corpstressaillit.

Puis une vive rougeur couvrit son front ;elle voulut se lever et ne le put, tant son émotion était grande.Mais elle tendit la main à Marmouset et lui dit :

– Viens, mon ami, viens ; je ne suisplus folle, et je me souviens de tout ce qui s’est passé.

Et comme Marmouset, palpitant, s’agenouillaitdevant elle, Gipsy continua :

– C’est toi qui as sauvé la pauvrebohémienne ; c’est toi qui m’as ramenée en France et qui asveillé sur moi tandis que la folie m’étreignait, comme un frère surune sœur.

Et elle l’attira vers elle, imprima ses lèvressur son front et lui dit avec émotion :

– Oh ! je t’aime !…

**

*

– Madame, disait tout bas le médecinallemand à Vanda, le danger a disparu, mais il peut revenir.

– Que voulez-vous dire, docteur ?fit Vanda avec une inquiétude subite.

– Ces enfants s’aiment…

– Je le sais.

– Il faut qu’ils s’épousent… et le plustôt sera le mieux.

– Ah ! fit Vanda.

– Quand Gipsy sera mère, ajouta ledocteur, elle aura recouvré la raison pour toujours.

Vanda posa un doigt sur ses lèvres :

– Chut ! dit-elle, nous allons hâterles préparatifs, en ce cas.

D’ailleurs, c’est la volonté du maître.

Et Vanda soupira, en songeant à Rocambole,qui, depuis cinq mois, avait quitté Paris et dont elle n’avait plusde nouvelles.

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