Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 7

 

Revenons à Timoléon que nous avons laissé sefaisant une lanterne de son cigare pour déchiffrer le billet deVanda.

Nous l’avons vu aller au-devant du Pâtissier,après avoir recommandé à sir James Nively de ne point bouger et dene faire aucun bruit.

Le Pâtissier l’attendait au coin de la rueSaint-Martin.

– Eh bien ? est-ce prêt ?demanda Timoléon.

– C’est prêt, fit le Pâtissier.

– Où est le baril ?

– Le baril, la mèche, tout est dans lepuits.

Timoléon tira de sa poche une grosse montred’argent.

– Il n’est que neuf heures, dit-il, nousarriverons avant que Philippette soit partie.

Et ils prirent un fiacre qui les conduisit auxbuttes Chaumont.

Des buttes, ils descendirent à pied dans laplaine.

Là, le Pâtissier demeura auprès du puits,tandis que Timoléon s’approchait sans bruit de la carrière oùdevait se trouver Philippette.

Nous avons vu comment il aborda cette dernièrelorsqu’elle sortit.

Philippette ne savait pas plus ce que voulaitfaire Timoléon qu’elle ne savait ce qu’était le major Avatar.

Timoléon savait quelques mots de russe et illui fut aisé de traduire le billet de Vanda.

Vanda disait : « Suis la femme quite porte ce billet… »

– Ça marche comme sur des roulettes,murmura Timoléon en rendant le billet à Philippette.

– Eh bien ? dit celle-ci, quefaut-il faire ?

– Pardieu ! Il faut porter le billetà son adresse.

– Et vous croyez que j’aurai les deuxcents louis ?

– Certainement, puisqu’il est convenu quenous partagerons.

– Oh ! dit Philippette, si celaarrive et que j’aie ma part, je veux me griser sans désemparer,pendant six mois de suite.

Timoléon se mit à rire.

– Mais pour que tout aille comme tu veux,dit-il, il faut que tu fasses ce que je voudrai.

– Comment donc çà ?

– Que tu écoutes bien mesrecommandations.

– Voyons ?

– Tu vas d’abord venir avec moi.

– Où çà ?

– Par ici.

Et Timoléon prit la vieille femme par le braset l’entraîna vers un petit monticule qui se trouvait à peu près àégale distance du puits et de la carrière à ciel ouvert danslaquelle Philippette avait fait du feu.

Sur ce monticule, il y avait une broussailleet cette broussaille cachait une petite excavation.

– Écoute bien ce que je vais te dire, ditalors Timoléon. La personne que tu vas amener pour délivrer cettedame aura soin de se munir d’une corde et d’un pic.

– Pour quoi faire ?

– Tu vois ce trou ?

– Oui.

– C’était la première entrée de lacarrière abandonnée dans laquelle j’ai enfermé la petite dame.

– Bon !

– Avec trois coups de pic, il aura creuséun trou, avec la corde qu’il fixera à une pierre il pourradescendre.

– Et c’est par là qu’ilremontera ?

– Naturellement, dit Timoléon, dontPhilippette ne vit pas le mauvais sourire. C’est égal, je vais tedonner un conseil.

– Lequel ?

– Tu feras bien de te faire payerd’avance.

– Pourquoi ?

– On ne sait pas ce qui peut arriver. Ilpeut se casser le cou en descendant.

Philippette regarda Timoléon. La nuit n’étaitpas claire, mais elle vit briller les yeux du misérable d’une joieinfernale.

– Ah ! je crois que je comprends,papa, dit-elle.

– À bon entendeur, salut ! ditTimoléon. Seulement, fais bien attention à lui ; c’est que situ ne joues pas serré, nous sommes flambés et tu n’auras rien.

– C’est pourtant un messière,dit Philippette faisant allusion au major Avatar.

Messière est un mot d’argot qui veutdire bourgeois.

– Oui, mais c’est un malin ; ainsi,prends garde !

– Bon, murmura Philippette, je n’ai paspassé la moitié de ma vie à Saint-Lazare pour être née d’hier… etje ne suis pas saoûle, ce soir… Je l’enfoncerai joliment, lebourgeois.

Et Philippette s’en alla pour remplir sonmessage.

Timoléon redescendit vers le puits.

Le Pâtissier l’avait découvert et il étaitcouché auprès.

– Embarque ! dit Timoléon.

Et il descendit le premier.

Puis, quand le Pâtissier l’eut rejoint, ilalluma sa mèche soufrée, disant :

– Vérifions les objets.

– Mais, dit le Pâtissier, vous allezdonner l’éveil à la jolie dame.

– Non, dit Timoléon.

– Cependant elle va voir la lumièrepasser sous la porte.

– Elle n’est plus dans la carrière.

– Hein ?

– Elle est dans le boyau qui conduit àl’autre, mais ce n’est pas par là qu’elle pourra sortir.

En même temps, Timoléon passait l’inspectiondes objets apportés par le Pâtissier au fond du puits.

Il y avait d’abord une scie à main, semblableà celles dont se servent les menuisiers pour faire un trou ronddans une planche.

– Je ne sais pas trop ce que vous voulezfaire de ça, dit le Pâtissier.

– Tu le verras plus tard.

Il y avait ensuite une longue mèche soufréepareille à celle dont se servait Timoléon, en ce moment, pour yvoir clair.

Ensuite une petite futaille qui aurait pucontenir quinze ou vingt litres de vin : c’était de poudre àcanon qu’elle était pleine.

– Voilà de quoi faire sauter la moitié dePantin, dit Timoléon.

– Et c’est pour… Rocambole ?…

– Naturellement.

Les yeux du Pâtissier brillaient d’une joieféroce.

– Maintenant, mon bonhomme, poursuivitTimoléon, nous n’avons plus qu’une chose à faire.

– Laquelle ?

– Nous croiser les bras et attendre.

– Attendre quoi ?

– Que le gibier vienne donner têtebaissée dans le panneau que nous lui avons tendu.

– Mais, dit le Pâtissier, je devine bienà peu près ce que vous voulez faire ; seulement…

– Seulement tu ne t’expliques pas lesmoyens ?

– Non.

– Eh bien ! patience et tu verrasqu’à moins d’être le diable ou le bon Dieu, il n’y a pas moyen quel’ami Rocambole en réchappe.

En même temps, Timoléon éteignit la mèchesoufrée et tous deux demeurèrent immobiles et silencieux au fond dupuits.

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