Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 46

 

Comment Timoléon, qui ne devait pas quittersir James évanoui, se trouvait-il à cette heure auprès desCarrières de Pantin ?

S’était-il défié de Philippette, ou bien unévénement inattendu était-il survenu ?

Cette dernière supposition était la plusadmissible, car Timoléon ne s’était pas aventuré à se confier àPhilippette sans connaître la vieille femme de longue date.

L’événement inattendu, c’était sir Jamesrevenant brusquement à la vie et rouvrant les yeux.

Cela s’était passé il y avait environ deuxheures.

Pendant toute la journée, Timoléon s’étaitenfermé rue du Vert-Bois, ouvrant à chaque instant les rideaux dulit pour jeter un regard furtif sur l’Anglais, qui avait toujoursl’aspect d’un cadavre.

Cependant, en faisant appel à ses souvenirs,Timoléon se disait qu’Antoinette Miller, laquelle avaitcertainement été endormie par le même procédé, ne s’était réveilléequ’au bout de trois jours.

Or, en bien calculant, Timoléon ne trouvaitencore que trente-six heures.

Mais il pouvait se faire aussi quel’organisation d’un homme étant toujours plus robuste que celled’une femme, la catalepsie durât moins longtemps chez lui.

Timoléon se disait tout cela, lorsque, tout àcoup, il entendit un léger soupir.

La chambre n’était éclairée que faiblement parune chandelle posée sur la table de nuit.

Timoléon tressaillit et se pencha sur sirJames.

Les lèvres serrées jusqu’alors de l’Anglaiss’étaient brusquement ouvertes.

Il posa la main sur le cœur.

Le cœur commençait à fournir quelquespulsations.

La vie revenait.

Timoléon n’hésita plus.

Il versa quelques gouttes de vinaigre dans lasoucoupe d’une tasse, y trempa le coin de son mouchoir et se mit endevoir de frotter les tempes de sir James, et après les tempes, leslèvres, et ensuite les paupières.

En même temps, il se débarrassait en un tourde main de sa perruque blanche, de son crâne ridé et se refaisaitla tête qu’il avait l’avant-veille, lorsqu’il s’était présenté àl’hôtel des Champs-Élysées.

Sir James rouvrit les yeux et le regarda.

Timoléon s’attendait à une scène d’étonnement,précédant la scène obligée de reconnaissance.

Il n’en fut rien.

En même temps qu’il ouvrait les yeux, sirJames souriait.

– Je sais qui vous êtes, dit-il, je vousai reconnu à la voix.

Timoléon, stupéfait, fit un pas enarrière.

Sir James poursuivit :

– À partir du moment où je suis tombé encatalepsie, un sens unique m’est resté, l’ouïe.

J’ai tout entendu.

– En vérité ! exclama Timoléon.

– Par conséquent, poursuivit sir James,je sais tout ce qui s’est passé, j’ai entendu causer Vanda etRocambole.

Puis, j’ai compris que ce dernier m’emportait,et la conversation avec Milon, dans le fiacre, est restée gravéedans ma mémoire.

Je sais encore que la rue où nous sommes estla rue du Vert-Bois ; que dans cette maison se trouvent Gipsyet un jeune homme appelé Marmouset.

Je sais, de plus, qu’on m’avait déposé dans unpuits et que c’est vous qui m’en avez tiré.

Tandis que mon corps était complètement privéde sentiment, mon âme vivait et réfléchissait.

L’étonnement de Timoléon allait croissant.

Sir James, encore engourdi, parvint cependantà se mettre sur son séant.

– Maintenant, dit-il, causons, j’aientendu une conversation avec une femme que vous appelezPhilippette, n’est-ce pas ?

– Oui.

– De cette conversation, il résulte pourmoi, continua sir James avec un sang-froid imperturbable, que Vandaest en votre pouvoir.

– C’est la vérité, dit Timoléon.

– Que comptez-vous en faire ?

– M’en servir pour attirer Rocambole dansun piège.

– Ah !

– Et, par conséquent, les faire périrtous les deux.

– Quand ?

– J’attendrai que vous soyez revenu àvous pour cela.

– Fort bien, dit sir James avec un calmeféroce. Alors, c’est que vous avez besoin de moi.

– Pas précisément.

– Ou bien désirez-vous me faire vosconditions ?

Et sir James eut un sourire.

– Mylord, répondit Timoléon, je vous aidit, il y a deux jours, que je m’estimerais assez récompensé, lejour où Rocambole serait mort. Cependant, je suis vieux etmisérable, et si vous voulez assurer du pain à ma vieillesse…

– Quelle somme voulez-vous ?

– Une centaine de mille francs.

– Vous les aurez, dit sir James. Est-cetout ?

– Vous donnerez ce que vous voudrezensuite à ceux qui m’ont servi.

– Ils fixeront eux-mêmes la somme dontils ont besoin. Est-ce tout ?

– Attendez, dit Timoléon. Puisque vousavez, me paraissant privé de vie, entendu tout ce qui se passaitautour de vous, vous devez comprendre que la maison dans laquellenous sommes est pleine de nos ennemis.

– Oui.

– Aussi est-il nécessaire de nous tenirtranquilles, et de ne pas bouger jusqu’à ce que nous soyonsdébarrassés de Rocambole.

– Naturellement, dit sir James.

– La crainte que le contraire n’arrivâtm’a fait rester auprès de vous. Mais, à présent, il est tempsd’agir.

– Je le pense aussi, dit sir James.

Un coup de sifflet se fit entendre de l’autrecôté de la rue.

– Ah ! ah ! fit Timoléon, voicile Pâtissier.

– L’homme à qui vous avez donnérendez-vous pour ce soir ?

– Oui.

– Expliquez-moi donc une chose ?demanda sir James.

– Laquelle ?

– Pourquoi lui avez-vous demandé un barilde poudre ?

– Mais, dit froidement Timoléon, pourenvoyer Rocambole et Vanda dans les airs.

Et il remit sa perruque blanche et son crânedénudé, ajoutant :

– Je crois que je ferais tout aussi biend’aller à la rencontre du Pâtissier.

– Comme il vous plaira, dit sir James.Vous êtes un trop habile homme pour qu’on ne vous laisse pas obéirà vos inspirations.

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