Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 44

 

C’était donc, on l’a deviné, le visage dePhilippette sur lequel le brasier qu’elle attisait au fond de lacarrière, reflétait sa lueur rougeâtre.

Philippette avait tenu parole à Timoléon, ellen’avait bu que de l’eau toute la journée, par conséquent, en serendant aux Carrières de Pantin, elle était maîtresse detoutes ses facultés.

Philippette avait été une fille de plaisirdans sa jeunesse ; une femme de confiance dans son âgemûr ; elle était voleuse, faute de mieux, sur ses derniersjours.

Au temps où il était une des puissancesmystérieuses de Paris, c’est-à-dire à l’époque où employé par lapolice, il avait la haute main sur les voleurs, Timoléon n’avaitjamais eu de serviteur plus dévoué que cette femme.

À la guerre acharnée que la police fait auxvoleurs, on pourrait croire qu’elle n’a pas de plus ardentsennemis.

C’est une erreur.

Les voleurs, les impures, tous ces gens sansaveu qui vivent de honte et de brigandage n’ont qu’uneambition : servir tôt ou tard la police.

Il y avait longtemps que Timoléon n’avaitemployé Philippette.

C’était une raison pour qu’elle le servît avecd’autant plus de dévouement.

Elle ne savait rien de ses malheurs ;elle ignorait que Rocambole l’eût réduit au désespoir et quel’autorité l’eût repoussé.

Avoir trouvé Timoléon dans un logement de larue du Vert-Bois transformé en bureau de placement, c’était pourelle la preuve qu’il était toujours à la recherche des voleurs quis’amendaient.

Philippette était saturée de prison ;elle y passait huit mois sur douze, car on ne se donnait plus lapeine de la juger, on la condamnait administrativement, ce quiétait plus simple, tantôt à deux mois, tantôt à trois mois,quelquefois seulement à quinze jours ou six semaines.

Or, Timoléon avait besoin d’elle et la faisaittravailler.

C’était du pain d’abord, et l’impliciteassurance qu’elle n’irait pas en prison de longtemps.

Cela ainsi posé, Philippette aurait trahi lediable plutôt que de désobéir à Timoléon.

C’était pour cela qu’elle n’avait pas bu, defaçon à être maîtresse de toutes ses facultés.

Cette femme avait été fort intelligente ;elle l’était même encore quand la boisson ne l’abrutissait pas.Aussi elle avait parfaitement compris le plan topographique exécutésur le carreau avec un morceau de craie par Timoléon.

Elle se rendait un compte exact de lasituation du trou percé dans le rocher, du boyau souterrain creusé,entre les deux carrières, soit par la nature, soit par la main deshommes, et de la possibilité, pour elle d’entendre les cris dedésespoir de la femme plongée dans ce sépulcre vivant.

En venant prendre possession de cet asileabandonné où, depuis trois jours, elle avait passé la nuit,Philippette avait passé auprès du mur en ruines, du puits couvertde planches, et du jardin abandonné.

En arrivant dans la carrière, elle s’attendaitdonc à entendre des hurlements et des cris.

Elle n’entendit rien.

D’ailleurs, la nuit était venue, l’obscuritéla plus profonde régnait dans la carrière avant qu’elle n’eût songéà déterrer quelques tisons éteints.

Vanda, immobile, de l’autre côté du trou,retenait son haleine, tandis que Philippette attisait le feu.

Cette femme ne lui était pas inconnue.

Où l’avait-elle vue ? voilà ce dont illui était difficile de se souvenir.

Les haillons qui couvraient Philippettefaisaient, du reste, mal à voir.

Après avoir un moment hésité, Vanda résolut dese confier à elle.

Elle se mit d’abord à tousser.

Au bruit, Philippette tressaillit et leva latête.

– Il y a donc quelqu’un là ?dit-elle avec un étonnement qui n’était pas exempt d’effroi.

– Oui, répondit Vanda, il y a une pauvrefemme qui meurt de faim.

Philippette prit un des tisons enflammés pours’en faire une torche et s’approcha du trou.

La torche improvisée éclaira le visage deVanda.

– Qui êtes-vous donc ? répétaPhilippette.

– Je vous l’ai dit, une femme qui estprisonnière et qui meurt de faim.

En même temps, Vanda regardait Philippette dece grand air mélancolique et dominateur qui avait, comme celui deRocambole, une certaine puissance magnétique.

Philippette était de sang-froid.

Dans ces moments-là, elle comprenait vite etbien.

Il y eut une chose qui ne fit pas l’ombre d’undoute pour elle : la femme qu’elle apercevait de l’autre côtéde la fissure du roc était celle que Timoléon avait garrottée dansla carrière et qui était parvenue à briser ses liens.

Cela était même d’autant plus admissible queVanda avait passé la main hors du trou et qu’une marque bleuâtrequi cerclait ses poignets, indiquait la trace des cordes.

Et Philippette prit un air de plus en plusétonné et naïf, et dit à Vanda :

– Mais comment donc êtes-vouslà-dedans ? Vous n’avez jamais pu passer par là ?

– Non, dit Vanda. On m’a enfermée dansune autre carrière pleine de rats. Les rats ont rongé les cordesqui m’attachaient et m’ont rendu la liberté de mes mouvements.

Alors, à force de chercher, j’ai trouvé uneouverture qui arrivait jusqu’ici. J’espérais pouvoir sortir. Mais,comme vous le dites, le trou est trop petit.

– Mais qui donc vous a enfermée, mapetite ?

– Des gens qui m’en veulent.

– Mais quel était leur plan ?

– De me laisser mourir de faim.

– Pauvre petite !

Philippette avait une croûte de pain dans sapoche ; elle la prit et la tendit à Vanda.

– Vous ne mourrez toujours pas cettenuit, dit-elle. Mais est-ce qu’il n’y a pas moyen de vousdélivrer ?

– Vous êtes vieille, dit Vanda, et vousn’en auriez jamais la force, à vous toute seule, car la carrière oùl’on m’a enfermée a une porte massive et garnie d’une grosseserrure. Mais si vous vouliez aller chercher mon homme ?

– Ah ! vous avez un homme ?

– Oui, qui est riche, et qui vous donneraassez d’or pour vous mettre à l’abri du besoin le reste de vosjours.

Philippette tressaillit.

En même temps, un souvenir traversa l’espritde Vanda.

Elle était encore couverte des vêtementsqu’elle avait lorsque Timoléon l’avait enlevée.

On ne l’avait pas fouillée et elle devaitavoir dans sa poche un petit portefeuille renfermant quelquespièces d’or.

Philippette murmurait avec un instinctcupide :

– Ah ! on me donnera beaucoupd’or ?

– Oui, répondit Vanda, qui venait deretrouver le portefeuille.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer