Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 15

 

À mesure qu’on remontait le faubourgSaint-Martin, les passants devenaient plus rares et les boutiquesétaient fermées.

Seules, quelques devantures de marchands devins entr’ouvraient parfois furtivement leurs portes basses etlaissaient échapper quelques buveurs attardés.

De temps en temps, Milon secouait la tête endisant :

– Je ne crois pas que ce chien puisseréellement suivre une voiture.

– Oh ! disait la belle Marton avecconfiance, il en a fait bien d’autres !

Mais Milon changea tout à coup de langage.

Le chien venait d’arriver à la rue Lafayette,qui coupe le faubourg Saint-Martin tout en haut.

L’animal n’hésita pas.

Au lieu de continuer à suivre le faubourg, ilprit la rue Lafayette à droite.

C’était la route des buttesSaint-Chaumont.

Et Milon se souvenait que c’était déjà lechemin que le cocher de fiacre leur avait fait prendre laveille.

Le chien suivit exactement la même route,arriva dans le chemin creux et s’arrêta.

Évidemment, Timoléon avait renvoyé la voitureà cet endroit.

– Cherche ! cherche ! disaitMarton.

Et elle lui donna à flairer la hoppelande deTimoléon.

Le chien remit son nez par terre et, tout àcoup, poussa un hurlement.

– Marchons ! dit Marmouset.

– Nous sommes déjà venus ici, dit Milonqui se baissa pour examiner le sol.

– Quand ?

– La nuit dernière.

En même temps, Milon frotta une allumette surson pantalon et s’abaissa vers les empreintes qu’avaient laisséesles roues de la voiture.

Mais Marmouset s’écria :

– Ce n’est pas une voiture qui est venueici, mais deux.

– La nôtre d’hier, dit Milon.

– Non, deux ce soir.

– Eh bien ?

– Celle de Timoléon et celle dumaître.

Et Marmouset siffla le chien qui revint surses pas, en lui disant :

– Cherche ! cherche !

L’intelligent caniche se mit à flairer l’unedes empreintes et ne dit mot ; mais il donna de la voix sur laseconde.

– C’est celle de la voiture de Timoléon,dit Marmouset.

– Bon ! fit Milon qui ne comprenaitpas encore.

– Et elle a passé avant l’autre, à preuveque la seconde a tourné dessus et a effacé à demi le train.

– Qu’est-ce que cela prouve ?demanda Milon.

– Cela prouve, répondit Marmouset, dedeux choses l’une : ou Rocambole poursuit Timoléon, ouTimoléon a tendu un piège à Rocambole.

De toute façon il faut nous hâter.

Le chien, laissé libre, s’était remis à suivreTimoléon à la piste.

Milon, Marmouset et Marton se remirent enroute derrière lui.

Ils se rendirent tous trois dans cette vasteplaine de Pantin que Milon et Rocambole avaient inutilementexplorée la veille.

Le caniche filait tout droit.

Quand il eut franchi le torrent desséché enpassant sur la planche qui servait de pont, il hésita un momentencore ; puis il prit à travers champs, et se dirigea vers lepuits.

– Où diable nous mène-t-il ? ditMarmouset.

Mais le chien tourna sur lui-même, s’éloignadu puits presque aussitôt, monta vers une broussaille qui setrouvait à cent mètres, la fouilla et en sortit un peu indécisencore.

Marmouset avait armé son revolver et Milonsaisi son poignard.

Le chien redescendit vers le puits.

Tout à coup, des cris confus arrivèrent auxoreilles de Marmouset.

Ces cris semblaient partir de dessous lui.

– Couchons-nous ! dit Marmouset.

Et tous trois se jetèrent à plat ventre sur letrou.

Le chien s’était rapproché du puits.

Soudain un homme en sortit et se mit àfuir.

Le chien aboya ; mais il ne se lança pasà la poursuite de cet homme.

Tout au contraire, il se précipita de nouveauvers le puits, hurlant de plus belle.

L’homme fuyait.

Mais à cent mètres du puits, Milon se dressadevant lui et le saisit à la gorge.

– Le Pâtissier ! exclama Marmouset,qui reconnut son ancien chef.

– Laissez-moi ! laissez-moi !dit le Pâtissier, cherchant à se dégager.

Mais le vieux géant l’avait renversé sous luien disant :

– Si tu ne me dis pas où est Rocambole,tu es mort !

– Rocambole ! hurla le Pâtissier àdemi étranglé… Rocambole !… ah ! ah ! ah !

– Parle, ou je te tue ! dit Milonqui lui effleura la gorge avec son poignard.

– Je ne sais pas ! dit lePâtissier.

– Tu mens !

Le Pâtissier jeta un cri, car la pointe dustylet avait entamé sa gorge.

– Parle ! répéta Milon, où estRocambole ?

– Perdu, répondit le Pâtissier.

– Perdu !

– Et vous aussi, ricana le misérable, sivous ne me laissez pas fuir… et si vous ne fuyez pas avec moi…

Milon le regarda d’un œil hagard.

– T’expliqueras-tu ? dit-il.

– Dans cinq minutes, la poudre aura prisfeu et nous sauterons !

Ces mots produisirent sur Milon une émotiontelle qu’il cessa d’appuyer son genou sur la poitrine duPâtissier.

Celui-ci se releva, voulant se dégager et fuirde nouveau.

Mais la main de fer de Milon l’étreignit.

– Laissez-moi…, ou nous sommes tousperdus ! répétait le Pâtissier, dont les dents claquaient deterreur.

Et comme Milon ne le lâchait pas :

– Rocambole et Timoléon sont dans unecarrière, dit-il, là… sous nos pieds… Il y a un baril de poudre, lamèche brûle !…

Tout va sauter !…

Marmouset jeta un cri et s’élança vers lepuits dans lequel le chien venait de disparaître.

– Eh bien ! dit Milon ivre dedouleur, tu ne verras pas l’explosion !

Et il enfonça jusqu’au manche son poignarddans la poitrine du Pâtissier.

Le Pâtissier tomba en jetant un cri.

Un cri et un ricanement de joie féroce.

Et, se tordant sur la terre humide, ilrépéta :

– Rocambole va mourir !… je suisvengé !

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