Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 35

 

L’étoupe qui brûlait dans le fond du puitsétait, comme nous l’avons dit, enduite de résine.

C’était une manière de torche qui pouvaitdurer une heure et plus.

Le Pâtissier et la Chivotte, qui secramponnaient toujours à Vanda, suivaient avec curiosité lesmouvements de Timoléon.

Vanda elle-même, bien qu’elle sentît quequelque chose de terrible se préparait pour elle, n’avait pus’empêcher de se pencher sur le puits.

La main de Timoléon, après avoir tâtonné unmoment, rencontra sans doute ce qu’elle cherchait.

Probablement une fissure dans la maçonnerie dumur.

Car elle disparut tout entière et fut suiviede l’avant-bras.

Puis tout à coup une pierre se détacha etroula dans le fond du puits.

Puis une autre et encore une autre.

Alors Timoléon leva la tête et dit avec unaccent joyeux :

– Je savais bien que personne n’avaitdécouvert mon hôtel !

On m’a même laissé mon outillage, et il y aplus de dix ans cependant que je ne suis venu ici.

Alors, tenant l’étoupe enflammée d’une main,il retira de l’autre une bêche, une pince et une pelle en fer.

Ces trois objets lui avaient servi sans douteà rechercher le trésor du voleur – trésor que, on le pense bien, iln’avait jamais songé à restituer.

Les pierres qui venaient de tomber avaientouvert dans la muraille du puits une brèche assez large pour que lecorps d’un homme pût y passer.

– Passez-moi la demoiselle, à présent,dit le bandit en ricanant.

Le Pâtissier prit Vanda à bras le corps et lasuspendant ensuite par les cordes qui lui liaient les bras, il lalaissa tomber dans le puits.

Vanda tomba sur ses pieds et ne se fit aucunmal.

– À présent, descendez, vous autres, ditTimoléon.

La Chivotte et le Pâtissier se laissèrentcouler l’un après l’autre et se trouvèrent alors à l’entrée d’unboyau souterrain à hauteur d’homme, mais très étroit et quiparaissait s’enfoncer peu à peu dans la terre.

– Veillez bien sur mademoiselle, répétaTimoléon.

– Faut-il l’étrangler tout desuite ? demanda la Chivotte.

– Non, pas encore.

Timoléon tira de sa poche un second morceaud’étoupe pour remplacer le premier qui était presque consumé etqu’il éteignit en mettant le pied dessus.

Puis, armé de cette nouvelle torche, ils’engagea dans ce souterrain dont il venait de déblayerl’entrée.

– File donc ! dit la Chivotte enpoussant Vanda.

Vanda s’était promis de ne faire aucunerésistance.

Elle se mit donc à marcher sur les pas deTimoléon.

La Chivotte venait derrière elle, continuant àl’accabler d’injures.

Le Pâtissier fermait la marche.

Ce boyau souterrain était évidemment l’œuvredes hommes.

C’était un chemin taillé dans la pierre àplâtre qui compose presque tout le gisement des Carrières dePantin.

Les traces du pic qui avait servi à l’ouvrierétaient très apparentes çà et là.

Mais on n’avait jamais dû se servir de cetteouverture pour extraire de la pierre et il était probable qu’unéboulement s’étant produit dans quelque puisard du voisinage, cettevoie étroite n’avait été ouverte que comme moyen de sauvetage.

Timoléon chemina pendant quatre ou cinqminutes, sa torche à la main, tantôt se baissant, tantôt seredressant, suivant que la voûte était plus ou moins haute.

Puis, tout à coup, il s’arrêta et Vanda quimarchait derrière lui le vit en face d’une porte.

Une vraie porte en bois, avec des gondsenfoncés dans le roc, une serrure et un verrou.

La clé était dans la serrure et Timoléon ditencore :

– Ils n’y ont pas touché, personne n’estvenu ici depuis moi.

Il tourna la clé, poussa le verrou et la portes’ouvrit.

Une bouffée d’air nauséabond frappa Vanda auvisage. En même temps, elle se trouva au seuil d’une sorte de salleassez spacieuse, de forme ronde et qui était évidemment unecarrière à moitié comblée.

En levant la tête, on pouvait voir à unehauteur considérable des planches et des madriers en échafaudage etpar dessus lesquels l’éboulement avait dû se produire, il y avaitsans doute bien longtemps déjà.

Çà et là, dans les coins, étaient de vieillesfutailles, des morceaux de bois, des outils rouillés.

La carrière avait été abandonnée depuis ungrand nombre d’années et son entrée primitive, complètementcomblée, ne devait plus être connue de personne.

Au moment où Timoléon et ceux qui le suivaientpénétraient dans le puisard, une légion de rats s’enfuit sous leurspieds et disparut par une demi-douzaine de crevasses.

– Mademoiselle aura de la société, ricanaTimoléon.

– Ah ! papa, s’écria la Chivotte,vous êtes un fier homme, tout de même. Je devine à présent. Lalargue à Rocambole sera grignotée toute vive.

– C’est une idée qui en vaut bien uneautre, murmura Timoléon avec un rire cruel.

Vanda ne put s’empêcher de frissonner.

Timoléon avait fait un signe au Pâtissier.

Celui-ci, qui se trouvait derrière Vanda, luidonna un croc-en-jambe.

Vanda tomba.

– Reficelez-moi la petite, ordonnaTimoléon, tandis que le Pâtissier et la Chivotte se précipitaientsur elle et l’empêchaient de se redresser.

Ce fut l’affaire d’un tour de main ; lesjambes de Vanda furent attachées de nouveau solidement et elle setrouva couchée sur le dos et dans l’impossibilité de serelever.

Mais Timoléon lui ôta son bâillon,disant :

– Il faut qu’elle puisse crier à sonaise, cette chère enfant.

Vanda leva sur lui un regard écrasant demépris :

– Va, dit-elle, je n’ai pas peur.

– Si tu as faim, dit la Chivotte, tumangeras des rats, en attendant qu’ils te mangent.

– Vous êtes des misérables !répondit Vanda, mais j’ai foi en Rocambole. Il me cherchera, ilfinira par me trouver… et malheur à vous !

– En attendant, ma petite,bonsoir !

Et Timoléon entraîna ses deux complices horsdu puisard.

Vanda se trouva dans les ténèbres et entenditle verrou et la serrure de la porte grincer.

Puis les pas des trois misérabless’éloigner.

Puis plus rien !

**

*

– Papa, disait la Chivotte à Timoléon,lorsque, remontés à la surface du premier puits, ils se mirent toustrois à replacer les planches dans le même état, papa, vous avezune crâne idée, mais, c’est égal, j’aurais autant aimé l’étranglermoi-même.

– Pourquoi ?

– C’est plus sûr.

– Mais elle n’aurait pas souffert…

– Oui… mais qui sait !Rocambole…

Le Pâtissier eut un rire mystérieux.

– Je compte le prendre au piège,dit-il.

– Lui ?

– Et le piège, c’est Vanda.

Et tous trois s’en allèrent sans que lePâtissier voulût s’expliquer davantage.

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