Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 36

 

L’homme qui venait de se dresser du milieu desbarriques et autres objets encombrant la cale et qui se montraittout à coup à Ali-Remjeh, frappé de stupeur, c’était le majorHoff.

C’est-à-dire Franz, que le terrible lasso del’Indien avait renversé mort sur le parquet de l’appartement demilady, au Grand-Hôtel.

Avant de devenir chef suprême de lamystérieuse association des Thugs, Ali-Remjeh avait été simpleÉtrangleur.

Or, jamais il n’avait manqué son coup ;jamais un homme abattu par son lacet de soie ne s’était relevé.

Ensuite, en admettant le contraire, ensupposant que Franz ne fût pas mort, comment pouvait-il se trouversur ce navire ?

Le merveilleux et le surnaturel viennent enaide volontiers aux imaginations colorées de l’Extrême-Orient.

Ali-Remjeh eut un moment d’effroisuperstitieux et recula vivement, persuadé qu’il n’avait devant luique le fantôme de sa victime.

La faculté qu’ont les morts de sortir de leurtombe est au nombre des premières croyances indiennes.

– Arrière ! fantôme ! criaAli-Remjeh reculant jusqu’à la muraille de la cale.

Ce que voyant, Franz fit un pas vers lui.

Ali-Remjeh avait un revolver dans sa poche, unpoignard à sa ceinture.

Mais il était tellement convaincu qu’iln’avait devant lui que l’ombre de Franz, qu’il ne songea point àfaire usage de ses armes.

Ce que voyant, Franz fit un bond vers lui, enmême temps qu’il fit entendre un coup de sifflet.

Et tandis qu’il prenait l’Indien à la gorge,deux hommes se dressèrent auprès de Franz et lui vinrent enaide.

Ces deux hommes étaient Milon et laMort-des-Braves. Ce fut si rapide, si instantané, que Ali-Remjeh,revenu de son erreur superstitieuse, n’eut pas le temps de sedéfendre.

Il fut renversé sur le sol, Milon lui mit ungenou sur la poitrine et Franz, lui enlevant son revolver, lebraqua sur lui en disant :

– Au moindre cri que tu pousseras, beauravisseur de femmes, j’ai l’ordre de te tuer.

Franz était le plus fort, au moins pour lemoment ; Ali-Remjeh se résigna avec le flegme des gens de sarace.

– Milon, disait Franz, maintenezl’ex-capitaine sous votre genou ; mais ne lui fermez pas labouche avec vos mains.

Je lui ai défendu de crier ; mais s’ilveut causer avec moi et me questionner sur une foule de choses quipeuvent l’intéresser, je n’y vois pas d’inconvénient.

Ali-Remjeh leva sur le major un œil terne etfroid.

– Ah ! dit-il, tu n’es donc pasmort ?

– Non, je ne suis pas mort, réponditFranz.

– Et tu reçois des ordres meconcernant ?

– Peut-être…

– D’un homme qui commande ici. Monsecond ?

– Non, dit Franz en riant, le pilote.

Ali-Remjeh tressaillit.

Et comme les gémissements se faisaienttoujours entendre derrière la porte du cachot, malgré luiAli-Remjeh tourna la tête.

– Ah ! dit Franz, cela t’étonne,n’est-ce pas ?

– Traître, dit Ali-Remjeh, je devine. Toiet les tiens vous vous êtes emparés de mon navire.

– C’est la vérité.

– Et mes compagnons, mes matelots, ceuxqui me sont dévoués, sont enfermés là…

– Tu l’as dit.

– Mais l’Indien est patient, poursuivitAli-Remjeh. Ils finiront par briser cette porte.

– Tu crois ? ricana le major.

– Ils viendront à mon aide, ils medélivreront…

– Et tu nous feras tous pendre auxvergues, dit Franz d’un ton moqueur.

Ali-Remjeh ne répondit pas, mais ses yeuxbrillèrent d’une flamme sombre.

Franz reprit :

– Malheureusement, le nombre de tescompagnons est moins grand que tu ne supposes. Combien avais-tu dematelots ?

– Douze, dit Ali-Remjeh.

– Il n’en reste plus que quatre.

– Misérables ! hurla Ali-Remjeh,auriez-vous donc jeté les autres à la mer ?

– Non, on les a conduits à bord d’unnavire anglais.

L’Indien frissonna.

– Ils sont en Angleterre, à présent,continua Franz, en Angleterre, où nous allons nous-mêmes, et oùl’on m’a promis ma grâce en échange de mes révélations.

Un rugissement de fureur s’échappa de lapoitrine d’Ali-Remjeh.

– Prends garde, dit Franz, j’ai desordres.

– Mais comment se nomme donc le misérableà qui tu obéis ? s’écria l’Indien.

– Il te le dira lui-même.

Et, comme Franz disait cela, un nouveaupersonnage apparut à l’entrée de la cale, et Ali-Remjeh reconnut lepilote.

Celui-ci avait remis le commandement aux mainsde Noël.

– Tu veux savoir qui je suis, Ali-Remjeh,dit-il. Je me nomme pour milady le major Avatar, je me nomme pourtoi Rocambole.

En même temps, il fit un signe à Milon quicessa d’appuyer son genou sur la poitrine de l’Indien.

– Relève-toi, Ali-Remjeh, dit-il.

L’Indien n’avait plus son revolver, mais ilavait encore son poignard.

Et, le saisissant, il songea un moment àopposer à tous ces hommes une résistance désespérée.

Rocambole haussa les épaules, et lui dit ensouriant :

– Prends garde ! tu vas jouer la viede ton fils.

Et il y avait dans son accent une tellerésolution que Ali-Remjeh frissonna, et que le poignard dont ils’était armé échappa à sa main.

– Ali-Remjeh, poursuivit Rocambole,milady et toi, vous avez volé une fortune qui appartient à unefemme que je protège.

Ni elle, ni toi ne voulez rendre cettefortune, n’est-ce pas ?

– Jamais, dit l’Indien avec énergie.

– Alors, j’ai dû prendre une résolutionqui me mettra en possession d’une somme presque équivalente.

Malgré son effroi et sa fureur, Ali-Remjeh neput s’empêcher de regarder Rocambole avec curiosité.

– J’ai résolu de gagner la prime de deuxcent mille livres sterling offerte par l’amirauté anglaise à celuiqui livrera Ali-Remjeh et les siens.

Ali-Remjeh pâlit affreusement.

– Allons ! ordonna Rocambole, qu’onmette cet homme aux fers et qu’il aille rejoindre sir James Nivelyau cachot.

Et, tandis qu’on exécutait ses ordres, endépit de la résistance désespérée d’Ali-Remjeh, Rocambole remontasur le pont.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer