Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 23

 

Le bonhomme entra donc chez le fruitier.

Celui-ci ouvrit, dans le fond de sa boutique,une porte qui donnait sur l’allée de la maison et précédant sonfutur locataire, il gravit l’escalier jusqu’à deuxième étage.

Deux portes ouvraient sur le carré.

L’une était celle de l’appartement àlouer.

Tandis que le fruitier se baissait pour mettrela clé dans la serrure, car l’escalier était sombre, le prétenduplaceur de domestiques colla rapidement son œil au trou de l’autreserrure et regarda.

Il vit une première pièce dans laquelle unjeune homme était assis devant une table, un livre à la main.

Un peu plus loin se trouvait une femme.

Le bonhomme fut fixé.

Il visita l’appartement que lui montrait lefruitier, le trouva sombre, un peu cher, discuta le prix, insistapour qu’on mit du papier neuf et finit par l’arrêter en donnantcent sous de denier à Dieu.

Un homme si méticuleux et qui marchande sibien est un homme qui paye son terme.

Le fruitier loua.

Le bonhomme annonça qu’il reviendrait lelendemain avec ses meubles et, sur-le-champ, il accrocha sonécriteau sous la porte d’entrée.

Puis il s’en alla.

Mais, une heure après il revint.

– Voulez-vous être assez aimable, dit-ilau fruitier, pour me donner la clé ? Je voudrais prendre lahauteur des croisées pour les rideaux.

C’était si simple que le fruitier n’hésitapas.

Le bonhomme monta, s’enferma dansl’appartement, puis, après avoir prêté l’oreille, il put seconvaincre que le mur qui séparait son appartement de celui danslequel il avait aperçu un jeune homme et une jeune femme était fortmince.

Le bruit des voix passait au travers.

Le bonhomme enleva délicatement un morceau depapier qui recouvrait ce mur et qui, du reste, tomba en lambeaux,tira de sa poche un vilebrequin de serrurier et se mit à creuser untrou.

Quand il sentit qu’il était tout près derencontrer le jour de l’autre côté, il s’arrêta.

– En voilà assez pour aujourd’hui,murmura-t-il.

Et il replaça le morceau de papier sur le trouet passa son pied sur le plâtre tombé sur le carreau, de façon à lenoircir et à lui donner une apparence de poussière.

Comme il s’en allait après avoir remis la cléau fruitier, une femme entrait dans la rue Vert-Bois.

Coiffée d’un petit bonnet, portant sur unevieille robe de soie un caraco rouge, peignée à la diable, portantdes bas crottés et se retroussant plus que de raison, cette femme,qui était jeune et jolie, avait tout d’abord l’apparence d’une deces beautés qui émaillent le soir le carré Saint-Martin.

Mais le bonhomme ne l’eut pas plus tôtenvisagée qu’il tressaillit.

Il avait reconnu Vanda, la compagne deRocambole.

Que signifiait ce costume ?

Était-ce un déguisement, ou bien Vandaétait-elle tombée subitement dans la misère etl’abjection ?

Elle ne fit nulle attention au bonhomme, maiscelui-ci la suivit du coin de l’œil.

Vanda entra chez le fruitier.

Des lors, pour lui, la chose était claire.

Vanda était la messagère de Rocambole.

Au lieu de continuer son chemin, le bonhommerevint alors sur ses pas, tira de sa poche une de ces tabatièresqu’on appelle des queues de rat, et la posa sur le comptoir dubureau de tabac qui se trouvait à côté de la boutique du fruitier,en disant :

– Deux sous à la fève, s’il vousplaît.

Il y avait au comptoir une vieille femme trèsbavarde et qui engageait la conversation avec quiconque l’ypoussait quelque peu.

Le bonhomme devint loquace.

Il apprit à la marchande de tabac qu’ildevenait locataire dans sa maison, qu’il tenait un bureau deplacement, que le métier, très bon autrefois, ne valait plusgrand’chose ; mais qu’enfin il fallait vivre, et qu’à sonindustrie de placeur, il joignait celle d’écrivain public.

La marchande de tabac rendit politesse pourpolitesse. Elle mit le bonhomme au courant de tous les tripotagesdu voisinage, lui apprit que le fruitier avait été au bagne, maisqu’il était devenu tout à fait brave homme, et qu’on le considéraitdans le quartier ; que depuis qu’il servait à boire, lemarchand de vins d’à côté perdait de sa clientèle ; que larue, qui n’était pas très propre, était néanmoins fort bien habitéeet qu’on y comptait jusqu’à huit métiers et un employé descontributions.

Ce double bavardage fit passer à la marchandede tabac une heure fort agréable et donna le temps au bonhommed’observer une foule de choses.

Étant sorti une minute sur le pas de la porte,il avait jeté un coup d’œil rapide dans la boutique du marchand devins.

Deux hommes, assis dans le fond de la salle,jouaient paisiblement au piquet avec leurs mains graisseuses.

Le bonhomme reconnut ces deux hommes.

L’un était le Chanoine, l’autre laMort-des-braves.

Tandis qu’ils jouaient, un troisièmeentra.

Le bonhomme reconnut Milon.

– Bon, pensa-t-il, Marmouset et la jolieAnglaise ont des gardes du corps.

En même temps Vanda sortit.

Alors le bonhomme souhaita le bonjour à lamarchande de tabac et se mit à suivre Vanda.

Celle-ci ne se retourna point. Mais quand ellefut au coin de la rue Saint-Martin, elle monta dans un fiacre quistationnait là comme par hasard.

Le bonhomme passa tout auprès du cocher commeelle disait à ce dernier :

– Rue Saint-Lazare, 28.

Le fiacre partit.

Mais en même temps que lui passait l’omnibusde la place Cadet.

Le bonhomme grimpa sur l’impériale.

Le fiacre de Vanda allait plus vite quel’omnibus.

Pendant quelques minutes le faux placeur putle suivre des yeux.

Mais il le perdit de vue au coin du faubourgSaint-Denis.

Peu lui importait, il gagna la place Cadet etmonta dans la correspondance qui longe la rue Lamartine, la rueSaint-Lazare, et va à Chaillot. Arrivé au numéro 28, le bonhommeallait descendre de l’impériale, lorsqu’il vit un petit coupé brunattelé d’un magnifique trotteur qui stationnait à la porte.

En même temps une femme sortit accompagnée parun homme qui ouvrit la portière et dit :

– Tout est bien convenu ainsi ; à cesoir.

Le bonhomme tressaillit.

La femme qui montait dans le coupé n’étaitautre que Vanda.

Mais Vanda ayant retrouvé sa mise de femmeélégante et drapée dans un cachemire long.

Quant à celui qui lui disait « à cesoir, » le bonhomme le reconnut aussi.

C’était le major Avatar qui disait aucocher :

– Aux Champs-Élysées.

Ce qui fit que Timoléon – car on avait déjàdeviné que c’était lui qui s’était déguisé en placeur et avait louél’appartement contigu à celui de Marmouset, rue du Vert-Bois –Timoléon, disons-nous, demeura sur l’impériale de l’omnibus qui,pour se rendre à Chaillot, traverse les Champs-Élysées, etmurmura :

– Je sais où trouver Gipsy, je sais oùest Rocambole. Quand je saurai où va Vanda, je pourrai allertrouver sir James Nively.

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