Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 17

 

Il y avait deux jours que s’étaient accomplisles derniers événements que nous venons de raconter ; il y enavait quatre que les domestiques du petit hôtel de l’avenueMarignan n’avaient plus entendu parler ni de sir James Nively, nide la femme qui passait pour être sa femme ou sa fiancée et qu’ilsappelaient madame ; ni enfin de ce personnage mystérieux qui,s’étant présenté le lendemain de cette double disparition, avaitparlé avec le ton de l’autorité se disant un ami de sir James, etenjoignant à tous la plus profonde discrétion.

Pendant les deux premiers jours, lesdomestiques s’étaient scrupuleusement conformés à la recommandationde Rocambole.

Le premier surtout, ils avaient été tenus enrespect par Milon qui avait passé toute la journée dansl’hôtel.

Si on songe que sir James n’était à Paris quedepuis quelques jours, que les gens qu’il avait pris à son servicene le connaissaient pas, que par conséquent ils ne lui étaientnullement attachés, on comprendra leur parfaite indifférence.

Cependant, le troisième jour, comme personnene revenait, pas même ce personnage dont ils avaient un moment subila mystérieuse influence, la discorde commença à se mettre parmieux.

Le cuisinier et la femme de chambre parlèrentd’aller faire une déclaration chez le commissaire de police.

Le cocher, au contraire, rappela les sévèresrecommandations de Rocambole.

Le valet de chambre dit à son tour :

– Si ce soir il n’y a rien de nouveau, jefile, et je me paye moi-même mes gages.

L’hôtel ne renfermait que des meubles.

Si Vanda avait laissé des bijoux et sir Jamesde l’or tout cela était si bien serré, que la femme de chambre quis’était permis une petite exploration domiciliaire n’avait rientrouvé.

Mais le valet de chambre avait sans doute desrenseignements plus sérieux qu’il gardait pour lui-même.

Le quatrième jour parut et on ne vit rienvenir.

Le cuisinier reparla d’aller chez lecommissaire de police.

– Et pour quoi faire ? demanda lecocher.

– Mais, dame ! fit le cuisinier,pour déclarer que nos maîtres ont disparu.

– Qu’est-ce que ça te fait ?

– Rien, mais on me doit quinze jours degages, à dix francs par jour. Je veux être payé.

– Paye-toi toi-même, dit la femme dechambre.

– Sur quoi ?

– Fais venir un brocanteur et vends-luila batterie de cuisine.

– Et puis, un matin, sir Jamesreviendra.

– C’est possible.

– Et il me dénoncera comme voleur.

– Moi, dit la femme de chambre, j’attendshuit jours encore. Après, si je n’ai revu personne, je m’arrangeraide la garde-robe de la petite dame.

Le valet de chambre haussa les épaules.

– Vous êtes tous des niais, dit-il.

– Plaît-il, monsieur Antoine ?minauda la camérière.

– Certainement.

– Comment cela, s’il vousplaît ?

– Ne sommes-nous pas bien, ici ?

– Sans doute ; mais nous n’avons pasd’argent.

– Je sais où il y en a.

– Toi ! fit le cocher.

– Sans doute, moi.

– Et tu ne nous l’as pas dit ?

– J’avais songé d’abord à garder toutpour moi. Mais si vous êtes bien gentils, si vous voulez m’écouter,nous partagerons.

– Est-ce que la somme estronde ?

– Trois rouleaux de mille francs.

– Où sont-ils ? dit la femme dechambre, j’ai fouillé partout et je n’ai rien trouvé.

– Même dans le secrétaire qui est dans lachambre de l’Anglais ?

– La clé est restée après. J’ai fouillétous les tiroirs : je n’ai rien trouvé.

– Je suis pourtant certain qu’il y atrois mille francs.

– Mais où ?

– Dans un double fond que tu n’as pas vu.Seulement, mes amis, à chacun selon ses œuvres : comme j’aidécouvert le magot, je veux la plus grosse part.

– Ça, c’est juste, dit le cuisinier.

– Je garde un rouleau de mille pour moitout seul.

– Excusez ! dit la camérière.

– C’est un peu cher, observa lecocher.

– Non, si vous réfléchissez que j’auraispu tout prendre.

– Bien ! fit le cuisinier ;mais quand nous aurons cet argent, que ferons-nous ?

– Nous filerons.

– Et si on nous pince ?

– Il n’y a pas à nous pincer, puisque nosmaîtres nous abandonnent, et ne nous donnent pas de leursnouvelles.

– Mais le vol des trois millefrancs ?

– Ce n’est pas un vol.

– Par exemple !

– C’est le prix de nos services ;nous n’avons pas forcé le secrétaire, la clé était dessus.

– Nos services seront bien payés !ricana le cocher.

– Eh bien ! quand mettons-nous lamain sur le magot ?

– Ce soir.

– Mais, dit la femme de chambre, si cemonsieur qui est un ami de l’Anglais allait revenir ?

– Et, ajouta le cuisinier, cet autregrand escogriffe qui a l’air d’un hercule et qui est resté unejournée avec nous.

– Eh bien ! ils ne nous trouverontplus, voilà tout.

Le valet de chambre comme on voit avaitréponse à tout ; mais un bruit qui se fit à l’extérieur del’hôtel vint le troubler dans ses calculs et dans sa béatitudeanticipée que lui faisait éprouver le rouleau de mille francs.

Une voiture s’était arrêtée devant la grillede l’hôtel.

Non point un fiacre, mais un élégant coupéattelé de deux chevaux bais.

Un cocher poudré était sur le siège ; ungrand laquais en bas de soie se prélassait à côté de lui.

Depuis que l’hôtel était veuf de ses maîtres,les domestiques avaient déserté l’office.

Ils passaient leur vie au salon.

La femme de chambre cessa de se regardercomplaisamment dans une glace et courut à une des fenêtres quidonnait sur l’avenue.

– Ah ! mon Dieu !s’écria-t-elle en revenant effarée.

– Quoi donc ?

– C’est Madame.

En effet, les domestiques consternés virentdescendre du coupé une femme élégamment vêtue qui posa sa main surle bouton de la sonnette avec la tranquillité et l’autorité d’unepersonne qui rentre chez elle.

C’était Vanda.

Les domestiques s’étaient réfugiés, qui àl’office et qui dans l’antichambre.

Ce fut la femme de chambre qui vint ouvrir lagrille.

Vanda entra, aussi calme, aussi indifférenteque si elle fût sortie le matin et ne demanda même pas s’il étaitvenu quelqu’un en son absence.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer