Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 22

 

Comment et pourquoi Marmouset et Gipsyétaient-ils cachés rue du Vert-Bois ?

C’est ce que nous allons expliquer en peu demots.

En revenant à Paris, Rocambole avait fait unraisonnement fort simple et d’une rigoureuse logique, en apparencedu moins.

– Je ramène, s’était-il dit, deux êtresque je dois cacher à tout prix : sir George Stowe, dontj’aurai besoin pour lutter avec avantage contre sir James Nively etles Étrangleurs ; Gipsy, que je dois soustraire aux poursuitesde ce dernier.

S’il est un quartier où jamais on n’irachercher un Anglais, c’est à coup sûr cette nécropole où tout estvieux, triste et en dehors de tout mouvement, qu’on appelle lefaubourg Saint-Germain.

C’est donc là que je cacherai sir GeorgeStowe.

Si Vanda a bien joué son rôle, elle m’acertainement bien posé dans l’esprit de sir James Nively.

Je suis un de ces élégants fripons qui viventdans les beaux quartiers, fréquentent les clubs, arpentent leboulevard et se logent confortablement dans les quartiersneufs.

Pour sir James Nively, j’ai enlevéGipsy ; j’ai dû la meubler confortablement et la loger dans unde ces jolis quartiers neufs qui avoisinent les Champs-Élysées oule boulevard Malesherbes.

Par conséquent, si je veux bien cacher Gipsy,il faut que je la confine dans un quartier populaire, assez obscurpour qu’un homme du monde n’ose s’y risquer, assez honnête pourqu’elle ne coure aucun danger.

Or, en conséquence de ce raisonnement,Rocambole avait envoyé Noël à la découverte.

Noël avait une foule de ramifications dansParis.

Une ancienne connaissance de maison centrales’était établi fruitier dans la rue du Vert-Bois.

Devenu honnête, cet homme avaitprospéré : son commerce allait bien. Il avait loué toute lamaison qu’il habitait et la sous-louait ensuite à différentslocataires.

Ce fut chez lui que Noël trouva un petit logisde deux pièces pour Gipsy et Marmouset.

Marmouset avait ordre de ne quitter Gipsy nijour ni nuit.

En outre, la Mort-des-braves et le Chanoines’étaient installés en bas, chez le marchand de vin, y passaient lajournée à jouer aux cartes et faisaient bonne garde.

Mais point n’était besoin de donner uneconsigne à Marmouset.

Marmouset aimait Gipsy.

Il aimait la jeune fille avec toutl’entraînement de la jeunesse, avec l’ardent enthousiasme de l’êtrequi se sent fort et s’éprend de l’être faible qui a besoin deprotection.

Gipsy était folle.

Mais cette folie n’inquiétait pointRocambole.

Le mal dont on connaît la cause a toujours unremède.

Or, le mal de Gipsy – sa folie – ne provenaitpoint, comme on pourrait le croire, des terreurs et des angoissesqu’elle avait éprouvées durant cette nuit terrible où, au pouvoirdes Étrangleurs, elle avait failli être brûlée vive au pied de lamonstrueuse statue de Kâli, la farouche idole indienne.

Gipsy était folle parce qu’elle avaitardemment aimé sir Arthur Newil et que cet amour s’étaitbrusquement brisé dans son cœur, tué par le mépris.

Et Rocambole, ce grand médecin du cœur humain,avait accueilli avec joie cet amour que la folie inspirait àMarmouset, et cette tendresse subite que la jeune fille éprouvaitpour lui, – car nul autre ne pouvait l’approcher.

Marmouset seul obtenait d’elle qu’elle prîtquelque nourriture, qu’elle se couchât le soir venu, et qu’elle nesortît point.

Et il obtenait tout cela par le geste et leregard. Il ne savait pas l’anglais, la seule langue que Gipsyparlât.

Et Rocambole se disait :

– Gipsy est devenue folle paramour ; c’est l’amour qui la guérira.

Il y avait huit jours que Marmouset et Gipsydemeuraient rue du Vert-Bois.

La femme du fruitier montait faire leur ménageet préparait leur repas.

Marmouset veillait sur Gipsy comme une mèresur son enfant.

Il ne sortait jamais et il étudiait.

Ce garçon qui savait à peine lire étaitmerveilleusement doué.

Rocambole lui avait donné des livres en luidisant :

– Gipsy ne sera peut-être pas toujoursfolle : alors, tu ne seras peut-être pas fâché de pouvoircauser avec elle tout à ton aise. Pour cela, il faut apprendrel’anglais. Voilà des livres, étudie…

Et Marmouset étudiait, en se disant :

– Un jour, je pourrai donc lui direcombien je l’aime !

Quelquefois, Milon et Noël montaient dans leurlogis et venaient savoir comment allait Gipsy.

La folle souriait à Milon, mais elle regardaità peine Noël.

Milon était le seul être qu’elle connut aprèsMarmouset.

Or, le lendemain du jour où Timoléon avaitappris par le Pâtissier que Marmouset habitait avec Gipsy la rue duVert-Bois, un bonhomme vêtu d’une longue redingote noire usée, lesyeux abrités derrière des lunettes bleues et coiffé d’un chapeaugras et hors d’usage, déboucha par la rue Saint-Martin et entradans cette même rue du Vert-Bois.

Il avait sous le bras gauche une liasse depapiers, et portait de la main droite une petite plaque de tôlepeinte en rouge et sur laquelle se détachaient en lettres blancheset noires ces mots :

BUREAU DE PLACEMENT

CÉLÉRITÉ, DISCRÉTION.

Il entra dans les quatre premières maisons oùil vit des écriteaux de location à la porte et se fit montrer lesappartements vacants.

Pendant trois quarts d’heure, les paisibleshabitants de la rue du Vert-Bois virent cet homme, aller de porteen porte d’un air discret.

Le fruitier, principal locataire de la maisonoù se cachait Marmouset, et qui se trouvait alors au seuil de saboutique, disait à la marchande de tabac en riant :

– Il paraît que le négociant endomestiques est difficile à loger. Est-ce qu’il lui faut lePalais-Bourbon ?

Le bonhomme passa devant la boutique dufruitier, puis leva la tête et vit un autre écriteau.

Alors, il se risqua dans l’allée humide etnoire.

Mais le fruitier l’appela :

– Hé ! monsieur, dit-il, qu’est-ceque vous voulez ?

– Le concierge, répondit le bonhomme, enôtant son chapeau gras et montrant un crâne pelé.

– Il n’y en a pas. C’est moi qui réponds.Après qui demandez-vous ?

– Je cherche un appartement pas trop hautet pas trop cher pour mon petit commerce, répondit humblement lebonhomme.

– Payez-vous exactement ?

– Le plus que je peux. J’ai une bonneclientèle, du reste. Mais on m’a démoli ; j’habitais rueGreneta, auparavant.

– Eh bien ! entrez, dit le fruitier.Nous verrons à nous arranger.

– Combien l’appartement àlouer ?

– Quatre cent cinquante francs.

– Un peu cher, dit le bonhomme enhésitant.

Puis, avec un soupir :

– Enfin… voyons-le…

Et il entra dans la boutique du fruitier.

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