LVII
…Achmet était très important et trèssolennel : nous accomplissions tous deux une expédition pleinede mystère, et lui était nanti des instructions d’Aziyadé, tandisque moi, j’avais juré de me laisser mener et d’obéir.
À l’échelle d’Eyoub, Achmet débattit le prixd’un caïque pour Azar-kapou. Le marché conclu, il me fit embarquer.Il me dit gravement :
– Assieds-toi, Loti.
Et nous partîmes.
À Azar-kapou, je dus le suivre dans d’immondesruelles de truands, boueuses, noires, sinistres, occupées par desmarchands de goudron, de vieilles poulies et de peaux delapin ; de porte en porte, nous demandions un certain vieuxDimitraki, que nous finîmes par trouver, au fond d’un bougeinénarrable.
C’était un vieux Grec en haillons, à barbeblanche, à mine de bandit.
Achmet lui présenta un papier sur lequel étaitcalligraphié le nom d’Aziyadé, et lui tint, dans la langued’Homère, un long discours que je ne compris pas.
Le vieux tira d’un coffre sordide une manièrede trousse pleine de petits stylets, parmi lesquels il parutchoisir les plus affilés, préparatifs peu rassurants !
Il dit à Achmet ces mots, que mes souvenirsclassiques me permirent cependant de comprendre :
– Montrez-moi la place.
Et Achmet, ouvrant ma chemise, posa le doigtdu côté gauche, sur l’emplacement du cœur…