XI
A LOTI, DE SA SOEUR
Brightbury, décembre 1876.
Chère frère,
Je l’ai lue, et relue, ta lettre ! C’esttout ce que je puis demander pour le moment, et je puis dire commela Sunamite voyant son fils mort : « Tout vabien ! »
Ton pauvre cœur est plein de contradictions,ainsi que tous les cœurs troublés qui flottent sans boussole. Tujettes des cris de désespoir, tu dis que tout t’échappe, tu enappelles passionnément à ma tendresse, et, quand je t’en assuremoi-même, avec passion, je trouve que tu oublies les absents, etque tu es si heureux dans ce coin de l’Orient que tu voudraistoujours voir durer cet Éden. Mais voilà, moi, c’est permanent,immuable ; tu le retrouveras, quand ces douces folies serontoubliées pour faire place à d’autres, et peut-être en feras-tu plustard plus de cas que tu ne penses.
Cher frère, tu es à moi, tu es à Dieu, tu es ànous. Je le sens, un jour, bientôt peut-être, tu reprendrascourage, confiance et espoir. Tu verras combien cette erreur estdouce et délicieuse, précieuse et bienfaisante. Oh ! mensongemille fois béni, que celui qui me fait vivre et me fera mourir,sans regrets, et sans frayeur ! qui mène le monde depuis dessiècles, qui a fait les martyrs, qui fait les grands peuples, quichange le deuil en allégresse, qui crie partout :« Amour, liberté et charité ! »