VIII
Mon ami Achmet a vingt ans, suivant le comptede son vieux père Ibrahim ; vingt-deux ans, suivant le comptede sa vieille mère Fatma ; les Turcs ne savent jamais leurâge. Physiquement, c’est un drôle de garçon, de petite taille, bâtien hercule ; pour qui ne le saurait pas, sa figure maigre etbronzée ferait supposer une constitution délicate ; – toutpetit nez aquilin, toute petite bouche ; petits yeux tour àtour pleins d’une douceur triste, ou pétillants de gaieté etd’esprit. Dans l’ensemble, un attrait original.
Singulier garçon, gai comme un oiseau ; –les idées les plus comiques, exprimées d’une manière tout à faitneuve ; sentiments exagérés d’honnêteté et d’honneur. Ne saitpas lire et passe sa vie à cheval. Le cœur ouvert comme lamain : la moitié de son revenu est distribué aux vieillesmendiantes des rues. Deux chevaux qu’il loue au public composenttout son avoir.
Achmet a mis deux jours à découvrir quij’étais et m’a promis le secret de ce qu’il est seul à savoir, àcondition d’être à l’avenir reçu dans l’intimité. Peu à peu ils’est imposé comme ami, et a pris sa place au foyer. Chevalierservant d’Aziyadé qu’il adore, il est jaloux pour elle, plusqu’elle, et m’épie à son service, avec l’adresse d’un vieuxpolicier.
– Prends-moi donc pour domestique, dit-il unbeau jour, au lieu de ce petit Yousouf, qui est voleur etmalpropre ; tu me donneras ce que tu lui donnes, si tu tiens àme donner quelque chose ; je serai un peu domestique pourrire, mais je demeurerai dans ta case et cela m’amusera.
Yousouf reçut le lendemain son congé et Achmetprit possession de la place.