Aziyadé

IV

Un beau jour de printemps, un des premiers oùil nous fut permis de circuler dans Salonique de Macédoine, peuaprès les massacres, trois jours après les pendaisons, vers quatreheures de l’après-midi, il arriva que je m’arrêtai devant la portefermée d’une vieille mosquée, pour regarder se battre deuxcigognes.

La scène se passait dans une rue du vieuxquartier musulman. Des maisons caduques bordaient de petits cheminstortueux, à moitié recouverts par les saillies des shaknisirs(sorte d’observatoires mystérieux, de grands balcons fermés etgrillés, d’où les passants sont reluqués par des petits trousinvisibles). Des avoines poussaient entre les pavés de galetsnoirs, et des branches de fraîche verdure couraient sur lestoits ; le ciel, entrevu par échappées, était pur etbleu ; on respirait partout l’air tiède et la bonne odeur demai.

La population de Salonique conservait encoreenvers nous une attitude contrainte et hostile ; aussil’autorité nous obligeait-elle à traîner par les rues un sabre ettout un appareil de guerre. De loin en loin, quelques personnages àturban passaient en longeant les murs, et aucune tête de femme nese montrait derrière les grillages discrets des haremlikes ;on eût dit une ville morte.

Je me croyais si parfaitement seul, quej’éprouvai une étrange impression en apercevant près de moi,derrière d’épais barreaux de fer, le haut d’une tête humaine, deuxgrands yeux verts fixés sur les miens.

Les sourcils étaient bruns, légèrementfroncés, rapprochés jusqu’à se rejoindre ; l’expression de ceregard était un mélange d’énergie et de naïveté ; on eût ditun regard d’enfant, tant il avait de fraîcheur et de jeunesse.

La jeune femme qui avait ces yeux se leva, etmontra jusqu’à la ceinture sa taille enveloppée d’un camail à laturque (féredjé) aux plis longs et rigides. Le camail était de soieverte, orné de broderies d’argent. Un voile blanc enveloppaitsoigneusement la tête, n’en laissant paraître que le front et lesgrands yeux. Les prunelles étaient bien vertes, de cette teintevert de mer d’autrefois chantée par les poètes d’Orient.

Cette jeune femme était Aziyadé.

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