Aziyadé

XVIII

Péra m’ennuie et je déménage ; je vaishabiter dans le vieux Stamboul, même au-delà de Stamboul, dans lesaint faubourg d’Eyoub.

Je m’appelle là-bas Arif-Effendi ; monnom et ma position y sont inconnus. Les bons musulmans mes voisinsn’ont aucune illusion sur ma nationalité ; mais cela leur estégal, et à moi aussi.

Je suis là à deux heures du Deerhound, presqueà la campagne, dans une case à moi seul. Le quartier est turc etpittoresque au possible : une rue de village où règne dans lejour une animation originale ; des bazars, des cafedjis, destentes ; et de graves derviches fumant leur narguilhé sous desamandiers.

Une place, ornée d’une vieille fontainemonumentale en marbre blanc, rendez-vous de tout ce qui nous arrivede l’intérieur, tziganes, saltimbanques, montreurs d’ours. Surcette place, une case isolée, —c’est la nôtre.

En bas, un vestibule badigeonné à la chaux,blanc comme neige, un appartement vide. (Nous ne l’ouvrons que lesoir, pour voir, avant de nous coucher, si personne n’est venu s’ycacher, et Samuel pense qu’il est hanté.)

Au premier, ma chambre, donnant par troisfenêtres sur la place déjà mentionnée ; la petite chambre deSamuel, et le haremlike, ouvrant à l’est sur la Corne d’or.

On monte encore un étage, on est sur le toit,en terrasse comme un toit arabe ; il est ombragé d’une vigne,déjà fort jaunie, hélas ! par le vent de novembre.

Tout à côté de la case, une vieille mosquée devillage. Quand le muezzin, qui est mon ami, monte à son minaret, ilarrive à la hauteur de ma terrasse, et m’adresse, avant de chanterla prière, un salam amical.

La vue est belle de là-haut. Au fond de laCorne d’or, le sombre paysage d’Eyoub ; la mosquée sainteémergeant avec sa blancheur de marbre d’un bas-fond mystérieux,d’un bois d’arbres antiques ; et puis des collines tristes,teintées de nuances sombres et parsemées de marbres, des cimetièresimmenses, une vraie ville des morts.

À droite, la Corne d’or, sillonnée par desmilliers de caïques dorés ; tout Stamboul en raccourci, lesmosquées enchevêtrées, confondant leurs dômes et leursminarets.

Là-bas, tout au loin, une colline plantée demaisons blanches ; c’est Péra, la ville des chrétiens, et leDeerhound est derrière.

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