Aziyadé

XXIV

LOTI A WILLIAM BROWN

Eyoub, décembre 1876.

Mon cher ami,

Je viens vous rappeler que je suis au monde.J’habite, sous le nom de Arif-Effendi, rue Kourou-Tchechmeh, àEyoub, et vous me feriez grand plaisir en voulant bien me donnersigne de vie.

Vous débarquez à Constantinople, côté deStamboul ; vous enfilez quatre kilomètres de bazars et demosquées, vous arrivez au saint faubourg d’Eyoub, où les enfantsprennent pour cible à cailloux votre coiffure insolite ; vousdemandez la rue Kourou-Tchechmeh, que l’on vous indiqueimmédiatement ; au bout de cette rue, vous trouvez unefontaine de marbre sous des amandiers, et ma case est à côté.

J’habite là en compagnie d’Aziyadé, cettejeune femme de Salonique de laquelle je vous avais autrefois parlé,et que je ne suis pas bien loin d’aimer. J’y vis presque heureux,dans l’oubli du passé et des ingrats.

Je ne vous raconterai point quellescirconstances m’ont amené dans ce recoin de l’Orient ; nicomment j’en suis venu à adopter pour un temps le langage et lescoutumes de la Turquie – même ses beaux habits de soie et d’or.

Voici seulement, ce soir 30 décembre, quelleest la situation : Beau temps froid, clair de lune. – A lacantonade, les derviches psalmodient d’une voix monotone ;c’est le bruit familier qui tinte chaque jour à mes oreilles. Monchat Kédi-bey et mon domestique Yousouf se sont retirés, l’unportant l’autre, dans leur appartement commun.

Aziyadé, assise comme une fille de l’Orientsur une pile de tapis et de coussins, est occupée à teindre sesongles en rouge orange, opération de la plus haute importance. Moi,je me souviens de vous, de notre vie de Londres, de toutes nossottises, – et je vous écris en vous priant de vouloir bien merépondre.

Je ne suis pas encore musulman pour tout debon, comme, au début de ma lettre, vous pourriez le supposer ;je mène seulement de front deux personnalités différentes, et suistoujours officiellement, mais le moins souvent possible,M. Loti, lieutenant de marine.

Comme vous seriez en peine pour mettre monadresse en turc, écrivez-moi sous mon nom véritable, par leDeerhound ou l’ambassade britannique.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer