Aziyadé

VIII

On avait, suivant la couleur et la formeconsacrées, apporté à Aziyadé son café turc dans une tasse bleueposée sur un pied de cuivre, et grande à peu près comme la moitiéd’un œuf.

Elle semblait plus calme et me regardait ensouriant ; ses yeux limpides et tristes me demandaient pardonde cette foule et de ce vacarme ; comme un enfant qui aconscience d’avoir fait des sottises, et qui se sait chéri, elledemandait grâce avec ses yeux, qui avaient plus de charme et depersuasion que toute parole humaine.

Elle avait fait pour cette soirée une toilettequi la rendait étrangement belle ; la richesse orientale deson costume contrastait maintenant avec l’aspect de notre demeure,redevenue sombre et misérable. Elle portait une de ces vestes àlongues basques dont les femmes turques d’aujourd’hui ont presqueperdu le modèle, une veste de soie violette semée de roses d’or. Unpantalon de soie jaune descendait jusqu’à ses chevilles, jusqu’àses petits pieds chaussés de pantoufles dorées. Sa chemise en gazede Brousse lamée d’argent, laissait échapper ses bras ronds, d’uneteinte mate et ambrée, frottés d’essence de roses. Ses cheveuxbruns étaient divisés en huit nattes, si épaisses, que deux d’entreelles auraient suffi au bonheur d’une merveilleuse de Paris ;ils s’étalaient à côté d’elle sur le divan, noués au bout par desrubans jaunes, et mêlés de fils d’or, à la manière des femmesarméniennes. Une masse d’autres petits cheveux plus courts et plusrebelles formaient nimbe autour de ses joues rondes, d’une pâleurchaude et dorée. Des teintes d’un ambre plus foncé entouraient sespaupières ; et ses sourcils, très rapprochés d’ordinaire, serejoignaient ce soir-là avec une expression de profondedouleur.

Elle avait baissé les yeux, et on devinaitseulement, sous ses cils, ses larges prunelles glauques, penchéesvers la terre ; ses dents étaient serrées, et sa lèvre rouges’entr’ouvrait par une contraction nerveuse qui lui étaitfamilière. Ce mouvement qui eût rendu laide une autre femme, larendait, elle, plus charmante ; il indiquait chez elle lapréoccupation ou la douleur, et découvrait deux rangées pareillesde toutes petites perles blanches. On eût vendu son âme pourembrasser ces perles blanches, et la contraction de cette lèvrerouge, et ces gencives qui semblaient faites de la pulpe d’unecerise mûre.

Et j’admirais ma maîtresse ; je mepénétrais à la dernière heure de ses traits bien-aimés pour lesfixer dans mon souvenir. Le bruit déchirant de cette musique, lafumée aromatisée du narguilhé amenaient doucement l’ivresse, cettelégère ivresse orientale qui est l’anéantissement du passé etl’oubli des heures sombres de la vie.

Et ce rêve insensé s’imposait à monesprit : tout oublier, et rester près d’elle, jusqu’à l’heurefroide du désenchantement ou de la mort…

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