Aziyadé

XLII

 

Une certaine après-midi de janvier, le cielsur Constantinople était uniformément sombre ; un vent froidchassait une fine pluie d’hiver, et le jour était pâle comme unjour britannique.

Je suivais à cheval une longue et large route,bordée d’interminables murailles de trente pieds de haut, droites,polies, inaccessibles comme des murailles de prison.

En un point de cette route, un pont voûté enmarbre gris passait en l’air ; il était supporté par descolonnes de marbre curieusement sculptées, et servait decommunication entre la partie droite et la partie gauche de cesconstructions tristes.

Ces murailles étaient celles du sérail deTchéraghan. D’un côté étaient les jardins, de l’autre le palais etles kiosques, et ce pont de marbre permettait aux belles sultanesde passer des uns aux autres sans être aperçues du dehors.

Trois portes s’ouvraient seulement à de longsintervalles dans ces remparts du palais, trois portes de marbregris que fermaient des battants de fer, dorés et ciselés.

C’étaient d’ailleurs de hautes et majestueusesportes, donnant à deviner quelles pouvaient être les richessescachées derrière la monotonie de ces murs.

Des soldats et des eunuques noirs gardaientces entrées défendues. Les styles de ces portiques semblaitindiquer lui-même que le seuil en était dangereux à franchir ;les colonnes et les frises de marbre, fouillées à jour dans le goûtarabe, étaient couvertes de dessins étranges et d’enroulementsmystérieux.

Une mosquée de marbre blanc, avec un dôme etdes croissants d’or était adossée à des roches sombres oùpoussaient des broussailles sauvages. On eût dit qu’une baguette depéri l’avait d’un seul coup fait surgir avec sa neigeuse blancheur,en respectant à dessein l’aspect agreste et rude de la nature quil’entourait.

Passait une riche voiture, contenant troisfemmes turques inconnues, dont l’une, sous son voile transparent,semblait d’une rare beauté.

Deux eunuques, chevauchant à leur suite,indiquaient que ces femmes étaient de grandes dames.

Ces trois Turques se tenaient fort mal, à lafaçon de toutes les hanums de grande maison qui ne craignent guèred’adresser aux Européens dans les rues les regards les plusencourageants ou les plus moqueurs.

Celle surtout qui était jolie m’avait souriavec tant de complaisance, que je tournai bride pour la suivre.

Alors commença une longue promenade de deuxheures, pendant laquelle labelle dame m’envoya par la portièreouverte la collection de ses plus délicieux sourires. La voiturefilait grand train, et je l’escortai surtout son parcours, passantdevant ou derrière, ralentissant ma course, ou galopant pour ladépasser. Les eunuques (qui sont surtout terribles dans lesopéras-comiques) considéraient ce manège avec bonhomie, etcontinuaient de trotter à leur poste, dans l’impassibilité la pluscomplète.

Nous passâmes Dolma-Bagtché, Sali-Bazar,Top-Hané, le bruyant quartier de Galata, – et puis le pont deStamboul, le triste Phanar et le noir Balate. A Eyoub enfin, dansune vieille rue turque, devant un Conak antique, à la mine opulenteet sombre, les trois femmes s’arrêtèrent et descendirent.

La belle Séniha (je sus le lendemain son nom),avant de rentrer dans sa demeure, se retourna pour m’envoyer undernier sourire ; elle avait été charmée de mon audace, etAchmet augura fort mal de cette aventure…

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