Aziyadé

XXIV

– Viens, Loti, dit Achmet ; allons encoreà Stamboul, fumer notre narguilhé ensemble pour la dernièrefois…

Nous traversons en courant Sali-Bazar,Tophané, Galata. Nous voici au pont de Stamboul.

La foule se presse sous un soleilbrûlant ; c’est bien le printemps, pour tout de bon, quiarrive comme moi je m’en vais. La grande lumière de midi ruissellesur tout cet ensemble de murailles, de dômes et de minarets, quicouronnent là-haut Stamboul ; elle s’éparpille sur une foulebariolée, vêtue des couleurs les plus voyantes del’arc-en-ciel.

Les bateaux arrivent et partent, chargés d’unpublic pittoresque ; les marchands ambulants hurlent àtue-tête, en bousculant la foule.

Nous connaissons tous ces bateaux qui nous onttransportés à tous les points du Bosphore ; nous connaissonssur le pont de Stamboul toutes les échoppes, tous les passants,même tous les mendiants, la collection complète des estropiés,aveugles, manchots, becs-de-lièvre et culs-de-jatte ! Toute latruanderie turque est aujourd’hui sur pied ; je distribue desaumônes à tout ce monde, et recueille toute une kyrielle debénédictions et de salams.

Nous nous arrêtons à Stamboul, sur la grandeplace de Jeni-djami, devant la mosquée. Pour la dernière fois de mavie, je jouis du plaisir d’être en Turc, assis à côté de mon amiAchmet, fumant un narguilhé au milieu de ce décor oriental.

Aujourd’hui, c’est une vraie fête duprintemps, un étalage de costumes et de couleurs. Tout le monde estdehors, assis sous les platanes, autour des fontaines de marbre,sous les berceaux de vignes qui se couvriront bientôt de feuillestendres. Les barbiers ont établi leurs ateliers dans la rue etopèrent en plein air ; les bons musulmans se font gravementraser la tête, en réservant au sommet la mèche par laquelle Mahometviendra les prendre pour les porter en paradis.

… Qui me portera, moi, dans un paradisquelconque ? quelque part ailleurs que dans ce vieux monde quime fatigue et m’ennuie, quelque part où rien ne changera plus,quelque part où je ne serai pas perpétuellement séparé de ce quej’aime ou de ce que j’ai aimé ?

Si quelqu’un pouvait me donner seulement lafoi musulmane, comme j’irais, en pleurant de joie, embrasser ledrapeau vert du prophète !

– Digression stupide, à propos d’une queueréservée sur le sommet de la tête…

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