Aziyadé

XV

Nous traversons la petite place de la mosquéepour nous embarquer de nouveau. Un caïque nous emporte àAzar-kapou, d’où nous devons rejoindre Galata, et puis Top-hané,Foundoucli, et le Deerhound.

Aziyadé a voulu venir me conduire ; ellea juré d’être sage ; elle est à cette dernière heure d’uncalme inattendu.

Nous traversons tout le tumulte deGalata ; on ne nous avait jamais vus circuler ensemble dansces quartiers européens. Leur « madame « est sur sa porteà nous voir passer ; la présence de cette jeune femme voiléelui donne le mot de l’énigme qu’elle avait depuis longtempscherché.

Nous passons Top-hané, pour nous enfoncer dansles quartiers solitaires de Sali-Bazar, dans les larges avenues quilongent les grands harems.

Enfin, voici Foundoucli, où nous devons nousdire adieu.

Une voiture est là qui stationne, commandéepar Achmet, pour ramener Aziyadé dans sa demeure.

Foundoucli est encore un coin de la vieilleTurquie, qui semble détaché du fond de Stamboul : petite placedallée, au bord de la mer, antique mosquée à croissant d’or,entourée de tombes de derviches, et de sombres retraitesd’oulémas.

L’orage est passé et le temps estradieux ; on n’entend que le bruit lointain des chiens errantsqui jappent dans le silence du soir.

Huit heures sonnent à bord du Deerhound,l’heure à laquelle je dois rentrer. Un coup de sifflet m’annoncequ’un canot du bord va venir ici me prendre. Le voilà qui sedétache de la masse noire du navire, et qui lentement s’approche denous. C’est l’heure triste, l’heure inexorable desadieux !

J’embrasse ses lèvres et ses mains. Ses mainstremblent légèrement ; cela à part, elle est aussi calme quemoi-même, et sa chair est glacée.

Le canot est rendu : elle et Achmet seretirent dans un angle obscur de la mosquée ; je pars, et jeles perds de vue !

Un instant après, j’entends le roulementrapide de la voiture qui emporte pour toujours mabien-aimée !… bruit aussi sinistre que celui de la terre quiroule sur une tombe chérie.

C’est bien fini sans retour ! si jereviens jamais comme je l’ai juré, les années auront secoué surtout cela leur cendre, ou bien j’aurai creusé l’abîme entre nousdeux en en épousant une autre, et elle ne m’appartiendra plus.

Et il me prit une rage folle de courir aprèscette voiture, de retenir ma chérie dans mes bras, de nouer mesbras autour d’elle, pendant que nous nous aimions encore de toutela force de notre âme, et de ne plus les ouvrir qu’à l’heure de lamort.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer