XXIX
Traduction d’un grimoire turc, écrit sous ladictée d’Achmet par un écrivain public de la place d’Emin-Ounou àStamboul, et adressé à Loti, à Brightbury.
« ALLAH !
« Mon cher Loti,
« Achmet te fait beaucoup desalutations.
« J’ai fait remettre ta lettre deMytilène à Aziyadé par la vieille Kadidja ; elle l’a serréedans sa robe, et n’a pas pu se la faire lire encore, parce qu’ellen’est pas sortie depuis ton départ.
« Le vieux Abeddin a soupçonné et toutdeviné, car nous avions été sans prudence pendant les derniersjours. Il ne lui a pas fait de reproches, adit Kadidja, et ne l’apas chassée, parce qu’il l’aimait beaucoup. Seulement, il n’entreplus dans son appartement ; il ne prend plus garde à elle etil ne lui parle plus. Les autres femmes aussi du harem l’ontabandonnée, excepté Fenzilé-hanum, qui est allée pour elleconsulter le hodja (le sorcier).
« Elle est malade depuis tondépart ; cependant le grand ekime (médecin) qui l’a vue a ditqu’elle n’avait rien et n’est pas revenu.
« C’est la vieille qui avait un jourarrêté le sang de sa main qui la soigne ; elle est saconfidente et je crois qu’elle l’a dénoncée pour de l’argent.
« Aziyadé te fait dire qu’elle ne vit passans toi ; qu’elle ne voit pas le moment de ton retour àConstantinople ; qu’elle ne croit pas qu’elle puisse jamaisvoir tes yeux face à face et qu’il lui semble qu’il n’y a plus desoleil.
« Loti, les paroles que tu m’as dites, neles oublie pas ; les promesses que tu m’as faites, ne lesoublie jamais ! Dans ta pensée, crois-tu que je peux êtreheureux un seul moment sans toi à Constantinople ? Je ne lepuis pas, et, quand tu es parti, mon cœur s’est brisé de peine.
« On ne m’a pas encore appelé pour laguerre, à cause de mon père, qui est très vieux ; cependant jepense qu’on m’appellera bientôt.
« Je te salue
« Ton frère,
« ACHMET »
« P.-S. – Le feu a pris dans le quartierdu Phanar cette dernière semaine. Le Phanar est toutbrûlé. »