Aziyadé

III

Eyoub, décembre 1876.

Aziyadé parle peu ; elle sourit souvent,mais ne rit jamais ; son pas ne fait aucun bruit ; sesmouvements sont souples, ondoyants, tranquilles, et ne s’entendentpas. C’est bien là cette petite personne mystérieuse, qui le plussouvent s’évanouit quand paraît le jour, et que la nuit ramèneensuite, à l’heure des djinns et des fantômes.

Elle tient un peu de la vision, et il semblequ’elle illumine les lieux par lesquels elle passe. On cherche desrayons autour de sa tête enfantine et sérieuse, et on en trouve eneffet, quand la lumière tombe sur certains petits cheveuximpalpables, rebelles à toutes les coiffures, qui entourentdélicieusement ses joues et son front.

Elle considère comme très inconvenants cespetits cheveux, et passe chaque matin une heure en efforts tout àfait sans succès pour les aplatir. Ce travail et celui qui consisteà teindre ses ongles en rouge orange sont ses deux principalesoccupations.

Elle est paresseuse, comme toutes les femmesélevées en Turquie ; cependant elle sait broder, faire del’eau de rose et écrire son nom. Elle l’écrit partout sur les murs,avec autant de sérieux que s’il s’agissait d’une opérationd’importance, et épointe tous mes crayons à ce travail.

Aziyadé me communique ses pensées plus avecses yeux qu’avec sa bouche ; son expression est étonnammentchangeante et mobile. Elle est si forte en pantomime du regard,qu’elle pourrait parler beaucoup plus rarement encore ou même s’endispenser tout à fait.

Il lui arrive souvent de répondre à certainessituations en chantant des passages de quelques chansons turques,et ce mode de citations, qui serait insipide chez une femmeeuropéenne, a chez elle un singulier charme oriental.

Sa voix est grave, bien que très jeune etfraîche ; elle la prend du reste toujours dans ses notesbasses, et les aspirations de la langue turque la font un peurauque quelquefois.

Aziyadé est âgée de dix-huit ou dix-neuf ans.Elle est capable de prendre elle-même et brusquement desrésolutions extrêmes, et de les suivre après, coûte que coûte,jusqu’à la mort.

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