XXXI
C’était Noël à la grecque ; le vieuxPhanar était en fête.
Des bandes d’enfants promenaient deslanternes, des girandoles de papier, de toutes les formes et detoutes les couleurs ; ils frappaient à toutes les portes, àtour de bras, et donnaient des sérénades terribles, avecaccompagnement de tambour.
Achmet, qui passait avec moi, témoignait ungrand mépris pour ces réjouissances d’infidèles.
Le vieux Phanar, même au milieu de ce bruit,ne pouvait s’empêcher d’avoir l’air sinistre.
On voyait cependant s’ouvrir toutes lespetites portes byzantines, rongées de vétusté, et dans leursembrasures massives apparaissaient des jeunes filles, vêtues commedes Parisiennes, qui jetaient aux musiciens des piastres decuivre.
Ce fut bien pis quand nous arrivâmes àGalata ; jamais, dans aucun pays du monde, il ne fut donnéd’ouïr un vacarme plus discordant, ni de contempler un spectacleplus misérable.
C’était un grouillement cosmopoliteinimaginable, dans lequel dominait en grande majorité l’élémentgrec. L’immonde population grecque affluait en massescompactes ; il en sortait de toutes les ruelles deprostitution, de tous les estaminets, de toutes les tavernes.Impossible de se figurer tout ce qu’il y avait là d’hommes et defemmes ivres, tout ce qu’on y entendait de braillements avinés, decris écœurants.
Et quelques bons musulmans s’y trouvaientaussi, venus pour rire tranquillement aux dépens des infidèles,pour voir comment ces chrétiens du Levant sur le sort desquels on aattendri l’Europe, par de si pathétiques discours, célébraient lanaissance de leur prophète.
Tous ces hommes qui avaient si grande peurd’être obligés d’aller se battre comme des Turcs, depuis que laConstitution leur conférait le titre immérité de citoyens, s’endonnaient à cœur joie de chanter et de boire.