Aziyadé

XI

23 mars.

J’allai à bord et je revins à la hâte. Coursede trois heures. J’annonçai à Aziyadé un sursis de départ de deuxjours.

C’est peu, deux jours, quand ce sont lesderniers de l’existence, et qu’il faut se hâter de jouir l’un del’autre comme si on allait mourir.

La nouvelle de mon départ avait déjà circuléet je reçus plusieurs visites d’adieu de mes voisins de Stamboul.Aziyadé s’enfermait dans la chambre de Samuel, et je l’entendaispleurer. Les visiteurs aussi l’entendaient bien un peu, mais saprésence fréquente chez moi avait déjà transpiré dans le voisinage,et elle était tacitement admise. Achmet, d’ailleurs, avait affirméla veille au soir au public qu’elle était Arménienne ; etcette assurance, donnée par un musulman, était sa sauvegarde.

– Nous nous étions toujours attendus, disaitle derviche Hassan-effendi, à vous voir disparaître ainsi, par unetrappe ou un coup de baguette. Avant de partir, nous direz-vous,Arif ou Loti, qui vous êtes et ce que vous êtes venu faire parminous ?

Hassan-effendi était de bonne foi ; bienque lui et ses amis eussent désiré savoir qui j’étais, ilsl’ignoraient absolument parce qu’ils ne m’avaient jamais épié. Onn’a pas encore importé en Turquie le commissaire de policefrançais, qui vous dépiste en trois heures ; on est libre d’yvivre tranquille et inconnu.

Je déclinai à Hassan-effendi mes noms etqualités, et nous nous fîmes la promesse de nous écrire.

Aziyadé avait pleuré plusieurs heures ;mais ses larmes étaient moins amères. L’idée de me revoircommençait à prendre consistance dans son esprit et la rendait pluscalme. Elle commençait à dire : « Quand tu seras deretour… »

– Je ne sais pas, Loti, disait-elle, si tureviendras, – Allah seul le sait ! Tous les jours jerépéterai : Allah ! sélamet versenLoti !(Allah ! protège Loti !) et Allah ensuite feraselon sa volonté. Pourtant, reprenait-elle avec sérieux, commentpourrais-je t’attendre un an, Loti ? Comment cela sepourrait-il, quand je ne sais plus rester un jour, non pas même uneheure, sans te voir. Tu ne sais pas, toi, que les jours où tu es degarde, je vais me promener en haut du Taxim, ou m’installer envisite chez ma mère Béhidjé, parce que de là on aperçoit de loin leDeerhound. Tu vois bien, Loti, que c’est impossible, et que, si tureviens. Aziyadé sera morte…

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