Aziyadé

LII

Un beau dimanche de janvier, rentrant à lacase par un gai soleil d’hiver, je vis dans mon quartier cinq centspersonnes et des pompes.

– Qu’est-ce qui brûle ? demandai-je avecimpatience.

J’avais toujours eu un pressentiment que mamaison brûlerait.

– Cours vite, Arif ! me répondit un vieuxTurc, cours vite, Arif ! c’est ta maison !

Ce genre d’émotion m’était encore inconnu.

Je m’approchai pourtant d’un air indifférentde ce petit logis que nous avions arrangé l’un pour l’autre, ellepour moi, moi pour elle, avec tant d’amour.

La foule s’ouvrait sur mon passage, hostile etmenaçante ; de vieilles femmes en fureur excitaient les hommeset m’injuriaient ; on avait senti des odeurs de soufre et vudes flammes vertes ; on m’accusait de sorcellerie et demaléfices. Les vieilles méfiances n’étaient qu’endormies, et jerecueillais les fruits d’être un personnage inquiétant etinvraisemblable, ne pouvant se réclamer de personne et sansappui.

J’approchais lentement de notre case. Lesportes étaient enfoncées, les vitres brisées, la fumée sortait parle toit ; tout était au pillage, envahi par une de ces foulessinistres qui surgissent à Constantinople dans les heures debagarre. J’entrai chez moi, il pleuvait de l’eau noire mêlée desuie, du plâtre calciné et des planches enflammées…

Le feu cependant était éteint. Un appartementbrûlé, un plancher, deux portes et une cloison. Avec une grandedose de sang-froid j’avais dominé la situation ; lesbachibozouks avaient arraché aux pillards leur butin, fait évacuerla place et dispersé la foule.

Deux zaptiés en armes faisaient faction à maporte enfoncée. Je leur confiai la garde de mes biens etm’embarquai pour Galata. J’allais y chercher Achmet, garçon de bonconseil, dont la présence amie m’eût été précieuse au milieu de cedésarroi.

Au bout d’une heure, j’arrivai dans ce centredu tapage et des estaminets ; j’allai inutilement chez leurmadame, et dans tous les bouges : Achmet ce soir-là futintrouvable.

Et force me fut de revenir dormir seul, dansma chambre sans vitres ni portes, roulé, par un froid mortel, dansdes couvertures mouillées qui sentaient le roussi. Je dormis peu,et mes réflexions furent sombres ; cette nuit fut une desnuits désagréables de ma vie.

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