XX
La barque d’Aziyadé est remplie de tapissoyeux, de coussins et de couvertures de Turquie. On y trouve tousles raffinements de la nonchalance orientale, et il semblerait voirun lit qui flotte plutôt qu’une barque.
C’est une situation singulière que lanôtre : il nous est interdit d’échanger seulement uneparole ; tous les dangers se sont donné rendez-vous autour dece lit, qui dérive sans direction sur la mer profonde ; ondirait deux êtres qui ne se sont réunis que pour goûter ensembleles charmes enivrants de l’impossible.
Dans trois heures, il faudra partir, quand laGrande Ourse se sera renversée dans le ciel immense. Nous suivonschaque nuit son mouvement régulier, elle est l’aiguille du cadranqui compte nos heures d’ivresse.
D’ici là, c’est l’oubli complet du monde et dela vie, le même baiser commencé le soir qui dure jusqu’au matin,quelque chose de comparable à cette soif ardente des pays de sablede l’Afrique qui s’excite en buvant de l’eau fraîche et que lasatiété n’apaise plus…
À une heure, un tapage inattendu dans lesilence de cette nuit : des harpes et des voix defemmes ; on nous crie gare, et à peine avons-nous le temps denous garer. Un canot de la Maria Pia passe grand train près denotre barque ; il est rempli d’officiers italiens en partiefine, ivres pour la plupart ; – il avait failli passer surnous et nous couler.