XII. – À quoi songeaient les deuxcavaliers dans la forêt
La nuit était fort noire et la forêt trèssombre.
Hermann à mes côtés me paraissait uneombre.
Nos chevaux galopaient. À la garde deDieu !
Les nuages du ciel ressemblaient à desmarbres.
Les étoiles volaient dans les branches desarbres
Comme un essaim d’oiseaux de feu.
Je suis plein de regrets. Brisé par lasouffrance,
L’esprit profond d’Hermann est vided’espérance.
Je suis plein de regrets. Ô mes amours,dormez !
Or, tout en traversant ces solitudesvertes,
Hermann me dit : « Je songe auxtombes entr’ouvertes. »
Et je lui dis : « Je pense auxtombeaux refermés ! »
Lui regarde en avant : je regarde enarrière.
Nos chevaux galopaient à travers laclairière ;
Le vent nous apportait de lointainsangelus ;
Il dit : « Je songe à ceux quel’existence afflige,
À ceux qui sont, à ceux qui vivent. –Moi », lui dis-je,
« Je pense à ceux qui ne sontplus ! »
Les fontaines chantaient. Que disaient lesfontaines ?
Les chênes murmuraient. Que murmuraient leschênes ?
Les buissons chuchotaient comme d’anciensamis.
Hermann me dit : « Jamais lesvivants ne sommeillent.
En ce moment, des yeux pleurent, d’autres yeuxveillent. »
Et je lui dis : « Hélas !d’autres sont endormis ! »
Hermann reprit alors : « Le malheur,c’est la vie.
Les morts ne souffrent plus. Ils sontheureux ! j’envie
Leur fosse où l’herbe pousse, où s’effeuillentles bois.
Car la nuit les caresse avec ses doucesflammes ;
Car le ciel rayonnant calme toutes lesâmes
Dans tous les tombeaux à lafois ! »
Et je lui dis : « Tais-toi !respect au noir mystère !
Les morts gisent couchés sous nos pieds dansla terre.
Les morts, ce sont les cœurs qui t’aimaientautrefois !
C’est ton ange expiré ! c’est ton père etta mère !
Ne les attristons point par l’ironieamère.
Comme à travers un rêve ils entendent nosvoix ! »
Octobre 1853.