Les Contemplations

VI. – Lettre

 

Tu vois cela d’ici. Des ocres et descraies ;

Plaines où les sillons croisent leurs milleraies,

Chaumes à fleur de terre et que masque unbuisson ;

Quelques meules de foin debout sur legazon ;

De vieux toits enfumant le paysagebistre ;

Un fleuve qui n’est pas le Gange ou leCaystre,

Pauvre cours d’eau normand troublé de selsmarins ;

À droite, vers le nord, de bizarresterrains

Pleins d’angles qu’on dirait façonnés à lapelle ;

Voilà les premiers plans ; une anciennechapelle

Y mêle son aiguille, et range à ses côtés

Quelques ormes tortus, aux profilsirrités,

Qui semblent, fatigués du Zéphyr qui s’enjoue,

Faire une remontrance au vent qui lessecoue.

Une grosse charrette, au coin de mamaison,

Se rouille ; et, devant moi, j’ai levaste horizon,

Dont la mer bleue emplit toutes leséchancrures ;

Des poules et des coqs, étalant leursdorures,

Causent sous ma fenêtre, et les greniers destoits

Me jettent, par instants, des chansons enpatois.

Dans mon allée habite un cordierpatriarche,

Vieux qui fait bruyamment tourner sa roue, etmarche

À reculons, son chanvre autour des reinstordu.

J’aime ces flots où court le grand ventéperdu ;

Les champs à promener tout le jour meconvient ;

Les petits villageois, leur livre en main,m’envient,

Chez le maître d’école où je me suis logé,

Comme un grand écolier abusant d’un congé.

Le ciel rit, l’air est pur ; tout lejour, chez mon hôte,

C’est un doux bruit d’enfants épelant à voixhaute ;

L’eau coule, un verdier passe ; et moi,je dis : Merci !

Merci, Dieu tout-puissant ! – Ainsi jevis ; ainsi,

Paisible, heure par heure, à petit bruit,j’épanche

Mes jours, tout en songeant à vous, ma beautéblanche !

J’écoute les enfants jaser, et, parmoment,

Je vois en pleine mer, passer superbement,

Au-dessus des pignons du tranquillevillage,

Quelque navire ailé qui fait un longvoyage,

Et fuit, sur l’Océan, par tous les ventstraqué,

Qui, naguère, dormait au port, le long duquai,

Et que n’ont retenu, loin des vaguesjalouses,

Ni les pleurs des parents, ni l’effroi desépouses,

Ni le sombre reflet des écueils dans leseaux,

Ni l’importunité des sinistres oiseaux.

Près le Tréport, juin 18…

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